Pompiers de service ou architectes du développement ? C’est l’éternel dilemme ! Encore plus aujourd’hui avec la pandémie laquelle cache bien d’autres choses dans les pays du Sud : l’insécurité alimentaire et ce qui est venu avec la rupture des chaînes d’approvisionnement, la montée du chômage des jeunes et leur migration, le manque généralisé de services énergétiques et ainsi de suite. Voyons de plus près comment se pose aujourd’hui la question avec en toile de fond l’urgence écologique.

1. L’aide humanitaire, oui mais encore!

Pendant qu’un grand nombre d’organisations et d’institutions, du local à l’international, s’affairent à répondre directement à la crise sanitaire – secours d’urgence oblige !, d’autres, trop peu nombreuses, travaillent en amont et en aval, par-delà l’urgence, sur ce qui vient avec cette crise tout comme avec celles d’avant qui l’ont précédé surtout dans les pays du Sud : l’insécurité alimentaire (la fracture dans les chaînes d’approvisionnement, la perte de récoltes par défaut d’entreposage au frais, la santé des sols laissée à l’abandon, etc.). Bref toutes les actions, en solidarité internationale comme en toute chose, ne se valent pas toutes car elles n’ont pas la même portée. Il faut donc s’interroger sur les ressources humaines et financières affectées au secours d’urgence et au développement des communautés. Or nous dit Samantha Nutt dans son ouvrage sur le sujet, elle qui est dans l’aide humanitaire depuis plus de 20 ans, il y a une tragique disproportion dans les ressources financières et humaines consacrées au secours d’urgence par rapport à celles consacrées au développement durable des communautés. Les organisations de secours d’urgence ont souvent plus d’argent qu’elles ne peuvent en dépenser tandis que les autres s’en tirent avec des budgets de misère nous dit la médecin et directrice d’une importante ONG humanitaire canadienne, World Child North America (Nutt, 2014). Bref, le secours d’urgence tend généralement à occuper la première place. Autrement dit il y a beaucoup de pompiers en service mais peu d’architectes du développement.

Aide humanitaire et développement durable des communautés
Les projets qui portent leurs fruits sont ceux qui ont placé les communautés locales et leurs organisations au coeur du processus afin de trouver des solutions…Notre modèle d’intervention doit s’éloigner des opérations de secours coûteuses et à court terme…
Samantha Nutt dans Guerriers de l’impossible. L’argent, les armes et l’aide humanitaire (p. 162-163).

La question qui vient immédiatement : Sommes-nous condamnés à aller d’un secours d’urgence à l’autre, des réfugiés économiques aux réfugiés climatiques, puis à ceux des zones de guerre ? Autrement dit comment peut-on sortir du « court termisme », retrouver le sens du long terme. Des initiatives Nord-Sud qui ne font pas de ce secours d’urgence leur ligne directrice première existent bel et bien et ont généralement plus de portée parce qu’elles soutiennent l’action collective de communautés, lesquelles se dotent d’organisations inscrites dans la durée : coopératives, fédérations paysannes, banques communautaires, etc. Depuis plus de 20 ans, les travaux de recherche de la CRDC et notre travail professionnel d’organisateur communautaire l’ont cent fois plutôt qu’une clairement démontré.

Une partie de l’aide internationale du Québec transformée en solidarité avec des organisations du Sud existe depuis près de 50 ans. Cette coopération Nord-Sud a été tendanciellement progressiste au plan social, non partisane sur le plan politique, soutenant en grande partie l’action collective entreprise par des groupes sociaux dans des pays du Sud. Elle s’est également voulue laïque après avoir été assez longtemps religieuse. Des milliers d’initiatives surtout locales ont ainsi été soutenues par plus de 60 organismes de coopération internationale (OCI regroupées depuis 1976 au sein de l’AQOCI) et par des mouvements : celui des agriculteurs avec UPA Développement international (UPA DI), celui du mouvement coopératif (avec DID et SOCODEVI), celui du mouvement des femmes et celui du mouvement syndical tant à la CSN qu’à la CSQ et la FTQ.

2. Action collective, solidarité économique et transition écologique : le défi

Notez que je parle de solidarité et non de générosité. La différence entre les deux, c’est que la générosité consiste à faire du bien à quelqu’un dont on ne partage pas les intérêts. La solidarité consiste à faire du bien à quelqu’un dont on partage les intérêts. Par exemple une coopérative. On y cherche son intérêt mais on ne peut le trouver qu’en y défendant aussi ceux des autres.

Jean-Paul Vigier dans Lettre ouverte à ceux qui veulent rendre leur argent intelligent et solidaire

Ce soutien par bon nombre d’OCI québécoises à des partenaires du Sud a été ancré dans les démocraties locales – ce qui fait sa force -, mais cela a d’abord été avant tout engagé dans le développement social de communautés (santé et éducation) et dans la promotion de droits sociaux. Trop peu cependant dans les économies de proximité (développement d’entreprises locales), la finance solidaire et la transition écologique, accusant ainsi un retard certain par rapport à leurs homologues européennes. Mais la dernière décennie est venue changer la donne.

Adossée à un financement public relativement consistant durant plusieurs décennies, cette coopération a en effet subi un choc majeur sous la gouverne des conservateurs à Ottawa (2006-2015). Début 2012, un vent glacial a soufflé sur les organismes de bienfaisance canadiens : forte restriction des activités dites « politiques » (sous-entendre la référence à des campagnes non partisanes de mobilisation autour d’un enjeu de politique publique), démantèlement de l’ACDI et son remplacement par Affaires mondiales Canada qui met sur la table des choix économiques misant sur les multinationales (minières entre autres) et sur un appui nettement plus marqué en faveur d’OCI confessionnelles conservatrices.

La coopération de proximité pratiquée depuis des décennies va ainsi être forcée de se redéployer différemment tant sur le plan de son autonomie financière que sur ses priorités sociopolitiques. Par la négative : a) ne plus miser sur le seul financement public ; b) repenser le lien du social et de l’économique, conçu séparément depuis trop longtemps ; c) ne plus considérer l’environnement comme une question secondaire. Par la positive, travailler à débusquer des pistes alternatives. Elles existent bel et bien ici et dans les pays du Sud pourvu qu’on s’y attarde un tant soit peu :

  1. Le développement d’initiatives s’attaquant à l’enjeu des infrastructures économiques locales et tout particulièrement l’accès à l’électricité et à l’eau potable
  2. L’accès au crédit par l’appui d’une finance solidaire : banques communautaires, caisses d’épargne et de crédit, mutuelles d’assurance, fonds de développement dédiés
  3. Le tout avec une approche centrée sur l’économie de l’avenir : une agriculture écologique intensive, une gestion durable des forêts, la mise à profit de sources d’énergies renouvelables.

Notre coopération avec le Sud : pompiers de service ou des architectes du développement ? Quatre clés d’intervention rendent possible que des organisations deviennent prioritairement des architectes du développement :

  1. Miser sur la finance socialement responsable ici même au Québec en révisant leurs achats et investissements en tant qu’organisations
  2. Développer au Sud des partenariats avec des organisations déjà existantes (locales, sectorielles, régionales et même nationales) : organisations paysannes, collectifs de femmes, coopératives…
  3. S’attaquer aux problèmes structurels que le défi écologique nous pose autour de deux axes majeurs : Énergie/Climat/Santé ; Agriculture/Alimentation/Santé
  4. Travailler dans la durée, ce qui nécessite au moins une génération pour changer les choses durablement

Quatre clés mais aussi trois virages à prendre dans notre approche, ce dont nous allons traiter dans ce qui suit : a) la finance solidaire ; b) le développement d’économies de proximité et c) la transition sociale-écologique. Trois leviers qui forment les bases d’une solidarité économique à finalité sociale avec le Sud. Le graphisme qui suit illustre l’évolution, la distinction et la cohabitation aujourd’hui de deux modes de coopération au sein des OCI québécoises – celui dont nous héritons et celui qui vient -. Non les OCI ne sont pas de la même mouture en dépit d’un discours commun souvent lénifiant, un discours rassurant mais qui endort les remises en question :

 

 

2.1. Un premier virage prend forme : l’indispensable finance solidaire

L’épargne solidaire : investir + changer le monde
Nous ne sommes pas naïfs : les placements solidaires ne peuvent à eux seuls endiguer le chômage, le mal-logement, le sous-développement, tout en assurant la reconversion écologique de notre économie et en palliant les carences du système de santé et social…Mais l’épargne solidaire permet surtout de redonner du sens à l’économie en offrant la possibilité de s’en réapproprier les enjeux…Elle ramène la finance à la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter, celle d’être un outil au service du développement humain.
Source : Naïri Naphapétian, journaliste à Alternatives économiques dans Épargner solidaire. Dossier de septembre 2015, #3

La plupart des experts et des intervenants engagés comme nous sur le terrain de l’économie et de l’écologie s’entendent pour dire que l’agriculture familiale dans la plupart des pays du Sud est un maillon stratégique, car c’est l’assise économique principale de sociétés à forte dominante rurales. Cependant, ses communautés rurales sont privées d’activités agricoles suffisamment génératrices de revenus (et de l’emploi qui vient avec), notamment l’accès à l’électricité à des prix raisonnables, le développement de petites infrastructures économiques locales, l’accès à l’eau potable, l’accès au crédit, etc. Bref ce qui permet de faire face à l’insécurité alimentaire et au changement climatique qui lui est associé. La mise à contribution d’une finance solidaire à la bonne hauteur et d’assises économiques locales adossées à un plan d’action pour une transition sociale et écologique font donc aujourd’hui partie de l’équation d’avenir.

Plutôt que de miser uniquement sur le financement en provenance des pouvoirs publics, une partie des OCI du Québec amorcent présentement un premier virage vers la finance solidaire en cherchant à se donner des outils financiers collectifs semblables à ceux que plusieurs communautés et mouvements sociaux du Québec se sont donnés au cours de leur histoire tels les caisses d’économie et les fonds de travailleurs à l’initiative des syndicats ; des caisses d’épargne et de crédit (Desjardins) ; des mutuelles d’assurances et des fonds dédiés au développement des régions ; des fonds communautaires dédiés à l’achat de bâtiments, etc. Bref, une finance solidaire inscrite dans le soutien à une économie non capitaliste de marché, cheville ouvrière de nombreux projets de développement économique lancés par les communautés elles-mêmes.

Début 2018, 18 OCI soutenus par un engagement à venir des fonds de travailleurs vont prendre une décision hors de l’ordinaire en mettant en oeuvre le projet commun d’un Fonds québécois d’investissement solidaire international, le FISIQ, (https://fisiq.org) un fonds de plusieurs millions de dollars qui est et sera entièrement consacré aux économies de proximité au Sud comme le font ici même les fonds de travailleurs en canalisant des épargnes collectives citoyennes à des fins de développement des régions du Québec. Cette fois, avec le FISIQ, ce sera aux fins de la solidarité internationale : système de prêts rotatifs en agriculture ; prêts et garanties de prêts à des PME (banques coopératives ou communautaires, ateliers de production de panneaux solaires, coopératives de collecte des déchets, etc.). En d’autres termes, des OCI ont commencé à quitter la seule logique des subventions de développement social pour y introduire la logique de la finance solidaire par des prêts à leurs partenaires du Sud à des fins de développement économique dont le coeur sera formé surtout d’entreprises collectives. L’accès au crédit est vital pour les communautés du Sud. C’est l’enjeu auquel le FISIQ va répondre pour des projets qui changent de cap et d’échelle en devenant plus économiques et plus ambitieux (« Small is not always beautiful »). Voir le billet de blogue sur la finance solidaire québécoise comme levier pour le Sud.

2.2. Un deuxième virage : le développement économique local

Logiquement, avec la finance solidaire, vient une approche plus économique de la question sociale et du développement, et l’introduction d’une nouvelle forme de solidarité de notre part avec le Sud. Elle introduit une dynamique nouvelle.

Les organisations du Sud sont généralement des initiatives de communautés qui ont souvent déjà pris le virage économique avant nous, sans attendre notre coopération dont elles savaient jusqu’à récemment qu’elle n’était pas de cet ordre. Elles sont généralement de petite ou de moyenne taille, souvent relativement homogènes, du point de vue de la situation socio-économique de leurs membres. Elles répondent à des besoins fortement ressentis par les membres – mais pas nécessairement exprimés ou explicites – tels l’accès à l’eau, l’accès à l’électricité, l’accès à l’emploi chez les jeunes, l’accès au crédit. Un exemple parmi d’autres, le président du CCPA, le Cadre de concertation des producteurs d’arachides, une organisation paysanne sénégalaise, Monsieur Hamidou :

Q. Que voudriez-vous avoir réalisé à la fin de votre mandat de demander Serge Godin ?
R. Je voudrais que nous ayons réalisé des projets structurants comme l’électrification des villages d’ici 2025. Il n’y a même pas 25% des villages qui ont l’électricité et avoir l’électricité, c’est le prérequis pour l’accès à l’eau potable, la santé, les écoles, le travail, etc.

Source : La Terre regarde. Les visages de l’agriculture sénégalaise de Serge Godin (2019), Collection UPA DI, Terres humaines.

Bref ce dirigeant d’expérience sert fort bien que l’électrification des villages, ça change tout à tout point de vue : la vie des familles, la vie des producteurs agricoles, celle des petits entrepreneurs locaux (le petit commerce), celle des services de base en santé et en éducation, etc.

C’est le premier développement, le chaînon manquant d’activités locales génératrices de revenus, sous-bassement indispensable d’une économie à plus grande échelle. Que retenir de ces expériences coiffées de la notion de premier développement ? D’abord que les sociétés industrielles nées en Europe au 19e siècle se sont très précisément construites, pendant au moins 200 ans, dans le creuset de cette « économie de rez-de-chaussée » (Braudel, 1985). De là l’importance de bien saisir cette dynamique dans les pays du Sud. Ce développement permet de sortir enfin d’une économie limitée à la subsistance en prenant appui sur un système local d’échanges économiques sur les territoires. Car occuper un territoire ne consiste pas seulement à se loger et à se nourrir mais bien à occuper un espace économique commun qui prend peu à peu sens par l’existence d’un marché local qui lui est propre.

Le chaînon manquant du premier développement
Au Sud, l’essentiel de la coopération du Nord est allé à l’aide globale ou macro-économique…Il manquait le chaînon du premier développement, celui qui vise la prise en charge, par les populations elles-mêmes… Ce développement du pays profond, des « pays » et des quartiers, est le fondement incontournable d’un développement…qui restaure ou instaure un marché intérieur (Verschave et Boisgallais, 1994 : 138).

Certes, on pourrait en insistant trop sur l’existence de ce premier développement dans l’Europe du XIXe siècle adopter un nouveau schéma déterministe de développement. Il faut plutôt prendre acte de certaines conditions similaires à celles du Nord rencontrées dans des stades antérieurs de leur histoire économique : une intervention de l’État croisée à des sociétés civiles fortes, des systèmes locaux d’échange, l’existence de gouvernements locaux, un environnement favorable aux économies de proximité.

Ce premier développement demeure fragile. Plusieurs de ces initiatives ont de la difficulté à sortir de la phase émergente. 10 à 20 % seulement si on se fie aux travaux de certains chercheurs péruviens (Macquet, 2004). Et la jonction avec un mouvement plus large, un casse-tête permanent lié au manque de ressources financières propres (et parfois au manque d’ambition d’organisations qui préfèrent demeurer petites). Pour l’instant, ces initiatives obtiennent une faible reconnaissance de la plupart des pouvoirs publics et de la plupart des institutions internationales, oscillent souvent entre la prestation autonome de services dans les communautés et la cohabitation active avec des pouvoirs publics par ailleurs souvent vacillants. Elles vivent aussi un problème chronique de sous-capitalisation qui la met en situation de fragilité dans des secteurs névralgiques, surtout ceux liés à l’agriculture, à l’électrification des villages, à l’accès à une eau potable, à l’entretien des routes…Ce n’est pas la tasse de thé des banques privées. C’est ici qu’intervient le rôle de la finance solidaire et des secteurs d’une coopération internationale de proximité qui met l’accent sur la solidarité économique. Mais pour ce faire, il faut tout à la fois a) favoriser la mise en réseau des acteurs et donc amplifier leur action ; b) faire la courte échelle en permettant aux projets de partenaires du Sud d’aller plus vite au but.

2.3. Un troisième virage : la transition écologique prend une autre tournure avec la crise sanitaire

« Nos sociétés sont entrées dans l’ère des crises… qu’elles soient climatiques ou sanitaires, elles vont s’enchaîner »


« C’est collectivement que nous avons construit ce monde-là. Il y a eu des lois pour pousser à la croissance, des entreprises qui nous ont proposé des millions de produits, et, individuellement, nous nous sommes tous lancés à corps perdu dans la consommation matérielle ». Mais pour freiner le réchauffement, la responsabilité des États et des entreprises est immense : « Ce sont eux qui déterminent nos comportements et nos achats »

Source : Isabelle Autissier, navigatrice, présidente d’honneur de WWF France, Obs, 29 mai 2021
WWF : le Fonds mondial pour la nature

 

Canicules qui s’accumulent, ouragans de plus en plus puissants et récurrents, destruction massive de la forêt tropicale, inondations de plus en plus fréquentes. Avec comme conséquences l’appauvrissement des sols, la perte de biodiversité, des crises sanitaires localisées (ou mondiales comme la COVID-19 et ses variants), l’accroissement de la misère, les migrations forcées…Certains vont même jusqu’à prétendre que la fin du monde est sur les rails. Chose certaine une course contre la montre est engagée dans diverses régions de la planète, moins ici qu’ailleurs, plus au Sud qu’au Nord. Le dérèglement climatique s’est aggravé à un tel point que les jeunes générations grandissent en sachant que la Terre ne sera plus habitable dans quelques décennies. Du moins plus pour tous. Au Sud, l’exemple de Sahel couvrant 12 pays d’Afrique de l’Ouest que les gouvernements tentent d’arrêter par le développement d’une grande muraille verte de 15 km de large et de 7 600 km de long est assez éloquent à cet égard (Favreau et Fréchette, 2019 : 11-12).

Bref réclamer un New Deal vert planétaire et faire bouger les lois dans cette direction en assumant pleinement la dimension sociale-écologique de notre projet de société s’impose de plus en plus. Il faut dès lors multiplier les échelles d’intervention, du local à l’international. À l’international, le nouveau gouvernement américain fait sérieusement bouger les lignes. Et notre coopération avec le Sud peut faire de même à une certaine échelle qui dépasse les micro-projets de villages et de quartiers pris isolément.

Aujourd’hui le développement économique, la question sociale et le défi écologique se télescopent dans une crise qui n’en finit plus et qui force la reconfiguration de presque tous les mouvements et institutions de nos sociétés. L’impensé politique de cette crise globale a été levé de façon beaucoup plus visible avec la crise sanitaire. Sa variable écologique est alors devenue avec plus de force le principal marqueur de la situation mondiale. De nombreux travaux de recherche récents et la couverture des médias sur la pandémie ont amplement confirmé le lien fort entre la crise sanitaire et la crise écologique comme en fait foi la journaliste scientifique Sania Shah dans son plus récent livre (Shah, 2020) et dans une entrevue accordée au Devoir (13 octobre 2020) de même que le professeur Weiss :

Le XXIe siècle n’a pas débuté en l’an 2001, mais bel et bien en 2020 avec la pandémie que nous traversons. En sus d’avoir modifié les flux de voyageurs, transformé l’économie planétaire et changé nos habitudes, la COVID-19 est l’élément qui va redéfinir notre siècle. La redistribution du pouvoir d’un monde post-COVID-19 sera fonction des succès à l’avoir maîtrisé.

Karl Weiss, professeur de médecine à l’Université McGill et à l’Université de Montréal, La Presse
https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-02-13/le-nouvel-ordre-post-covid-19.php

On connaît la suite : la crise sanitaire dans l’analyse de ses causes nous a révélé des dessous écologiques : notre rapport à la nature et aux animaux en particulier :

Ce monde débordant de riches et d’étonnantes diversités culturelles s’avère en même temps uni et tricoté très serré, pour le meilleur et pour le pire. Les maladies, dont celles causées par la destruction des habitats naturels des animaux sauvages, l’urbanisation galopante, les élevages industriels et les changements climatiques se répandent maintenant dans le village global à la vitesse d’une otite dans une garderie. Et ce n’est pas tout car «  nous faisons aussi face à plusieurs crises en même temps, chacune rendant l’autre pire encore » Une pandémie seule peut être gérable. Une pandémie introduite dans un système aussi instable devient un problème encore plus difficile à régler. »

https://www.ledevoir.com/lire/587704/coronavirus-cette-pandemie-et-les-prochaines

Voir aussi : https://ideas4development.org/sante-environnement-comment-sortir-crises-sanitaires/ (AFP, 2021)

Le défi écologique, et au premier chef la crise climatique, interpelle en effet de façon centrale nos sociétés, nos institutions et toutes les forces sociales progressistes dont la plupart s’étaient jusqu’ici focalisées principalement sur la seule question des inégalités sociales sans voir qu’elles étaient intimement liées à l’avenir des écosystèmes. Certains disent qu’il faut faire du climat la mère de toutes les luttes écologistes ? L’animateur principal de l’organisation écologiste Alternatiba au Pays Basque, Txetx Etcheverry, répond ceci :

« La crise climatique : si on ne gagne pas cette guerre, on les perd toutes »
Le climat détermine tous les autres pans de la vie sur Terre, les conditions de guerre et de paix, les possibilités de maintenir une démocratie. Et la biodiversité ne résistera pas au changement climatique s’il s’aggrave encore. Tout le reste est conditionné par le climat.

Et puis, il y a une donnée particulière dans le climat, c’est le calendrier : on a dix ou quinze ans pour empêcher de passer à des seuils d’emballement irréversibles. Certes, en biodiversité, il y a aussi un calendrier pressant et on franchit des seuils, mais il y a des choses plus ou moins réversibles, on arrive à faire revivre des sols bétonnés et pollués…

En ce qui concerne le climat, une fois qu’on a franchi le seuil, c’est fini. Si l’on croit ce que nous disent les scientifiques, cette bataille est centrale. Si on la perd, on perd toutes les autres. Et cette bataille se joue maintenant.

Source : http://louisfavreau.net/carnet/spip.php?article127

Partout dans le monde, tout particulièrement au Sud des dizaines de milliers d’organisations paysannes, de coopératives agricoles et forestières, de collectifs de femmes et d’organisations de solidarité internationale cherchent à faire mouvement du local à l’international, pour répondre à ce défi d’une transition sociale-écologique de nos sociétés au Nord comme au Sud (Manier, 2016).

En guise de conclusion provisoire

Dans la foulée de la COP 21, la solidarité Nord-Sud du Québec est donc emmené à se diriger vers le développement d’une économie faite de filières plus écologiques — énergies renouvelables, agriculture écologiquement intensive, aménagement durable des forêts, etc. -. L’aide humanitaire et la lutte sociale contre la pauvreté telles que menées par les institutions internationales et par un certain nombre d’OCI apparaissent aujourd’hui plus qu’hier de bien maigres solutions. Bref, pour un bon nombre de communautés, la cuisine au charbon de bois, les récoltes qui pourrissent dans les champs, les accouchements à la chandelle, les soirées sans que les enfants puissent faire leurs devoirs, le petit commerce local condamné à fermer en fin de journée, le temps mis à faire des kilomètres afin d’alimenter les cellulaires…pourraient devenir l’« affaire » d’une autre époque comme l’est devenue l’agriculture québécoise à la sortie de la 2e Guerre mondiale. Si, bien sûr, notre solidarité internationale ambitionne de se mettre plus à fond dans le développement d’économies de proximité et dans les mises en route d’une transition écologique qui s’impose plus que jamais.

Ce billet se veut une contribution conjointe de la CRDC et du Fonds Solidarité Sud (http://www.fondssolidaritesud.org) pour mieux comprendre les transformations en cours dans le monde trop peu connu de la solidarité Nord-Sud.

Bibliographie

Louis Favreau

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Lucie Fréchette

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