L’électricité en milieu rural, la mal-aimée, la sous-estimée, l’impensée de la solidarité internationale québécoise. Le 30 octobre dernier, nous étions très exactement 50 personnes en provenance de toutes les régions à réfléchir sur les modèles de coopération internationale du Québec avec le Sud et ce qui est en train de changer. La CRDC a construit un partenariat depuis plus d’une décennie avec le Fonds Solidarité Sud, ce qui donna notamment lieu à un ouvrage paru en 2019 aux Presses de l’Université du Québec. Dans la foulée de cet ouvrage des recherches avec cette organisation de solidarité internationale ont été mises en chantier. Or, dans les travaux du comité Recherche et Développement du Fonds Solidarité Sud auquel la CRDC participe, une petite enquête auprès d’une douzaine d’organisations de coopération internationale (OCI) parmi les plus investies dans des projets de développement, nous a permis de constater qu’un des impensés politiques était bel et bien celui des infrastructures locales et parmi celles-ci, la plus vitale pour le développement, l’électricité. Il valait la peine de s’y arrêter de plus près.

1. L’électricité dans les villages dans les communautés du Sud : les principales raisons de s’y intéresser

Alors que les pays du Nord sont à 99 % électrifiés, l’Afrique subsaharienne affiche un taux de 43 % principalement dans les grands centres urbains. Le rythme du développement électrique n’a pas suivi celui de la croissance démographique, qui est de 5 % par an. Près de 621 millions de personnes, soit un Africain sur deux, ne bénéficie pas d’électricité. Ce n’est pas un hasard si « l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable d’ici à 2030 » font partie des 17 objectifs de développement durable de l’ONU. Dans les zones rurales, Reporterre rapporte que « 30 % seulement de celles-ci seront raccordées aux réseaux nationaux, tandis que la plupart disposeront d’électricité grâce aux installations à usage domestique ou aux mini-réseaux » qu’elles se seront données elles-mêmes. Bref les populations ont déjà commencé à prendre leur destin électrique en main car l’électricité fournie par l’État reste chère, sans compter les nombreuses coupures. Les familles sont d’ailleurs souvent obligées de se procurer des groupes électrogènes en secours » (Reporterre, 2017).

Bien qu’à géométrie variable, les besoins en électricité sont immenses pour toutes les composantes des communautés du Sud : a) pour leur agriculture, matrice économique de développement en milieu rural ; b) pour les familles (faire la cuisine, avoir des réfrigérateurs communautaires, permettre aux enfants de faire leurs devoirs) ; c) pour le petit commerce (éclairage des rues) ; d) pour les écoles ; e) pour les services de santé ; f) pour les services numériques. Le graphique ci-dessous illustre les liens entre l’accès à l’énergie et le développement et le tableau qui suit l’impact potentiel de services énergétiques.

Fondation FONDEM 2018

 

L’impact des projets d’électrification
Impacts sociaux Impacts économiques Impacts écologiques
Sécurité alimentaire Amélioration de la production agricole : activités génératrices de plus de revenus Aide au passage à une agriculture plus durable
Éducation : Meilleure qualité des écoles (outils audio-visuels et éclairage) Meilleures conditions à la maison Réduction de la facture énergétique Réduction de la pollution grâce aux énergies renouvelables et moins d’usage de combustibles fossiles
Santé
Centres de santé : meilleurs équipements, meilleures conditions sanitaires ; chaîne du froid pour vaccins et médicaments ; moins d’infections respiratoires à la maison
Accroissement du temps disponible pour les activités domestiques et pour les activités commerciales, artisanales. Moins de coupe de bois pour les besoins domestiques (diminution de l’usage de la biomasse non renouvelable)
Élimination des lampes de pétrole
Accès à l’eau propre
Meilleure qualité de l’eau et approvisionnement fiable
Développement nouvelles activités : conservation des produits agricoles et leur transformation Pompage électrique par le solaire
Sécurité
Éclairage public, réduction des vols et des agressions (avantage le plus cité par la population).
Création d’emplois dédiés :
Installation, entretien et gestion des équipements (technicien, comptable, collecte des redevances, etc.)
Accès à l’information
Radio/télévision
Recharge des cellulaires
Égalité des genres
Allègement des tâches domestiques
Création d’activités économiques génératrices de revenus (maraîchage, couture, cuisine)

Les besoins sont là et toutes les composantes des communautés sont mobilisables sur cet enjeu. Or, dans la coopération québécoise de proximité, la question de l’électrification rurale, notamment en Afrique de l’Ouest, là où un grand nombre d’OCI d’ici sont présentes, les réponses de ces dernières à cet enjeu n’existent pratiquement pas. Or la donne a beaucoup changé depuis 10 ans. Ce qui pouvait être souhaitable hier mais non praticable est aujourd’hui devenu un possible.

Au plan économique : la chute des prix du solaire et autres renouvelables est un révélateur : a) en 10 ans le prix du solaire a fondu de 85% et l’éolien est en forte baisse, le contraire pour le fossile (Turner 2020). Mieux c’est devenu l’option la moins chère en Afrique (de Ravignan, 2016). Au plan politique, certains États ont la volonté d’investir ce défi, Sénégal en tête (Le Monde 2016). Au plan de la société civile (et en premier lieu les paysans) des initiatives citoyennes créent des réseaux locaux dans ce registre (Reporterre, 2017). Au plan des organisations paysannes, face au coût du pétrole et aux faibles rendements d’une production agricole soutenue par des pesticides, celles-ci introduisent de nouvelles pratiques liées à l’agroécologie et à l’agroforesterie. Au cœur du processus intervient l’importance capitale d’une l’électricité moins coûteuse et plus protectrice des écosystèmes en croisant les efforts : semences locales, énergies alternatives, irrigation contrôlée des terres, préservation des produits par stockage dans des bâtiments appropriés.

Énergies renouvelables : l’Afrique construit une voie énergétique différente
Les énergies renouvelables pourraient représenter jusqu’à 67 % de la production d’électricité en Afrique subsaharienne d’ici 2030. « La bonne nouvelle est que les arguments en faveur des énergies propres en Afrique n’ont jamais été aussi convaincants qu’aujourd’hui, avec une demande d’énergie aussi forte en raison de la croissance démographique, de l’urbanisation croissante, de l’industrialisation et du commerce, et du changement climatique, entre autres facteurs » affirme Mme Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unis pour l’Afrique. Sans doute un peu idéaliste mais les avancées vont dans la bonne direction. Par ailleurs elle ne mentionne rien quant à l’avenir des communautés rurales et de l’avenir de leur agriculture.
Source : Nations-Unies, Afrique renouveau (janvier 2021)
https://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/janvier-2021/energies-renouvelables-comment-lafrique-construit-une-voie-énergétique

2. Le développement des communautés aujourd’hui sans l’accès à l’énergie est de plus en plus illusoire

Au sein de quelques OCI comme UPA DI, SOCODEVI et le Fonds Solidarité Sud, il y a un moment déjà qu’on s’intéresse aux infrastructures économiques des communautés, notamment sur le rôle aujourd’hui incontournable de l’électricité dans le développement des communautés. Car soutenir le développement aujourd’hui sans l’accès à l’énergie devient de plus en plus illusoire. D’autant plus qu’à l’heure actuelle les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique villageoise, etc.) pour l’électrification rurale peuvent être offertes à des communautés à moindre coût et de plus de façon décentralisée. L’enquête menée par le Fonds depuis un an a confirmé cette hypothèse par l’étude de nombreux cas : des expériences fortes comme celle de l’UGPM, une organisation paysanne sénégalaise que nous connaissons depuis longtemps et dont nous avons relaté ailleurs sa transition énergétique il y a déjà 10 ans de cela : http://www.oikosblogue.com/?p=8461 Puis nous avons de plus en plus repéré des recherches menées sur le sujet et des prises de position de directions d’organisations paysannes et non des moindres comme cette dernière : « Avant la fin de mon mandat, je voudrais que nous ayons réalisé des projets structurants comme l’électrification des villages d’ici 2025.Il n’y a même pas 25% des villages qui ont l’électricité. Et l’électricité est le prérequis pour l’accès à l’eau potable, la santé, le travail… » disait le président du CCPA, le Cadre de concertation des producteurs d’arachides, autre importante organisation paysanne sénégalaise (Godin, 2019 : 93).

L’électrification rurale est un défi majeur des pays du Sud, tout particulièrement en Afrique. Et la donne a littéralement changé depuis 10 ans : l’électricité verte (solaire, éolien…) est compétitive et souvent moins chère que les énergies fossiles. De même plusieurs organisations paysannes et leurs localités ne demandent pas mieux de s’y mettre. De plus, c’est un levier stratégique de développement économique : l’expérience de l’OCI PARDEC (Partenariat pour le développement des communautés) en matière d’électrification par le solaire (fermes familiales, cliniques de santé, villages) a été mise en lumière par son directeur, Baudouin Kutuka, un des conférenciers de cette rencontre d’octobre dernier :

Baudoin Kutuka, géographe, directeur général de PARDEC https://www.pardec.org/

Personnellement, je reste convaincu qu’en ce siècle, parler de développement sans accès à l’énergie n’est que chimère. Les communautés du Sud comme celles du Nord, ont réellement besoin d’énergie pour assurer leur développement. La satisfaction de besoin en eau potable ; en irrigation, production, transformation et conservation de produits agricoles ; en matière de cuisson et de protection des écosystèmes forestiers ; en matière d’amélioration de service de santé en milieu rural etc. passe, sans nul doute, par un accès à l’énergie.

Imaginons, sans énergie, que deviennent les agriculteurs au Québec ? Pourquoi ne donnerons-nous pas la chance aux producteurs agricoles et paysans du Sud d’accéder à une source d’énergie, pour améliorer leur travail et augmenter la rentabilité de leurs terres. Osons et les autres viendront vers nous pour apprendre de notre expérience.

Puis un des participants, ex-dg du Cégep de la Gaspésie et des Îles qui a une longue expérience de son cégep à l’international notamment en matière d’électrification rurale verte en Afrique de l’ouest, a donné son écho à la rencontre de la façon suivante :

J’ai bien apprécié me replonger dans ces questionnements sur le développement. Je suis convaincu que les micro-réseaux autonomes alimentés aux énergies renouvelables sont des solutions bien adaptées pour l’électrification villageoise en Afrique. J’ai eu l’occasion de le constater en travaillant à des projets visant la formation de techniciens en énergie solaire appliquée au Burkina et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest.

En fait quand on regarde la question de l’électrification rurale au Québec, ce n’est pas si loin. C’était en 1945. Elle a été obtenue du gouvernement de l’époque par la pression de l’UCC (l’UPA d’aujourd’hui), des coopératives d’électricité et d’un petit groupe de municipalités. Le Québec voit en effet naître 63 coopératives et 32 réseaux municipaux durant cette décennie. Au final, il faut retenir que c’est ce qui va constituer une des plus importantes infrastructures pour favoriser le passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture génératrice de revenus dans les fermes familiales québécoises (l’autre étant le service routier pour rendre possible la commercialisation collective des produits de la terre sur l’ensemble du territoire). Or c’est très précisément là où en sont rendues de nombreuses communautés rurales au Sud. Avantage : les solidarités rurales de ces pays s’appuient sur une forte synchronie entre fermes et territoires, entre les producteurs agricoles et leurs villages car l’agriculture est l’assise économique principale de ces communautés.

Concrètement, l’UCC va intégrer des objectifs liés à l’aménagement du territoire, à l’électrification des villages, au développement des coopératives, à la formation de la relève agricole… Bref, elle va s’intéresser à un ensemble des solidarités rurales rejoignant tout à la fois les aspirations des agriculteurs et celles de leurs communautés. (Favreau, 2018 : 22-23)

Bref l’électrification des villages, ça change tout à tout point de vue : la vie des familles, la vie des producteurs agricoles, celle des petits entrepreneurs locaux (le petit commerce), celle des services de base en santé et en éducation, etc.

Certes le défi est immense et pour l’instant les progrès sont modestes et très contrastés : projets à petite échelle qui n’entraînent pas de changement très significatif, mauvais choix technologique, etc. Par contre la conjoncture sociale et politique est de plus en plus favorable à un certain déploiement. Nous disposons d’un certain nombre d’initiatives paysannes (et de localités) soutenues par la coopération du Nord notamment au Sénégal et à Madagascar qui illustrent la chose. Un exemple à petite échelle : Paméla, initiative d’une fondation française, la Fondation des énergies du monde (FONDEM). Un exemple à l’échelle régionale : PAER à Saint-Louis soutenue par la coopération française. Et un exemple-phare à plus grande échelle d’une organisation paysanne déjà mentionnée : l’UGPM dans la région de Thiès soutenue par la finance solidaire française, Solidarité internationale pour le développement et l’investissement, la SIDI [2] . Un exemple de montage mixte public/privé également de FONDEM en Base-Casamance. Voyons celas de plus près.

3. Électrification des villages : l’expérience sénégalaise dans la dernière décennie

Données de base en matière d’électrification au Sénégal
En zone rurale au Sénégal, où vit près de 60 % de la population, le taux d’électrification est de 17 %.

L’énergie est le deuxième poste de dépense d’un foyer, avec 13 euros par mois en moyenne, sur un budget de 97 euros, pour l’achat de pétrole, de bougies ou encore de piles. Les énergies traditionnelles (bois, charbon de bois, déchets végétaux et animaux) représentent 49 % de la consommation finale d’énergie dans le pays. Elle reste dominée par les hydrocarbures et la biomasse non renouvelable. Le système énergétique du pays est fortement tributaire des produits pétroliers et de la biomasse : la biomasse (54,3%) et les produits pétroliers (40,3%). La part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique du Sénégal reste très faible, malgré un potentiel très élevé pour l’énergie solaire, l’énergie éolienne et l’hydroélectricité (PNER, 2016).

Bref l’exploitation du solaire photovoltaïque est certes en progression, mais demeure encore fort modeste. Malgré les intentions affichées du Sénégal d’atteindre 20 % d’énergie renouvelable en 2020, malgré l’inauguration de nouvelles centrales à l’énergie solaire, force est de constater que les retombées se font attendre dans les villages. À preuve, ce témoignage d’un journaliste de la BBC recueilli au lendemain de l’inauguration de la centrale de Santhiou Mekhe, dans un village à moins de 2 km de la centrale :

« Là-bas, pas d’électricité. Juste un poteau électrique traversant le village depuis plus de 50 ans. Sur les 600 habitants, outre le chef de village, 7 ménages ont du courant – Des foyers tirés au sort pour bénéficier des quelques kits solaires installés gratuitement par la compagnie privée qui a construit la centrale. De fait, une nouvelle centrale solaire n’implique donc pas automatiquement l’électrification des localités avoisinantes. » (La révolution du solaire au Sénégal, Kahofi SUY, Journaliste, BBC News, 8 août 2017).

  • Électrification d’activités productrices par l’énergie solaire dans 10 localités (30 entrepreneurs) soutenue par la Fondation pour les énergies du monde (FONDEM) au Sénégal et à Madagascar, le PArtenariat Multi-acteurs pour un accès durable à l’ÉLectricité des Activités économiques (PAMÉLA)

Démarrage
Démarré en mars 2016 et prévu jusqu’en 2020, le projet Paméla s’est déroulé dans deux pays : le Sénégal et Madagascar. Il visait l’électrification par énergie solaire d’activités productives, avec plusieurs impacts concrets pour les populations ciblées : augmentation des revenus, accès à l’emploi, diversification des produits et services disponibles en zone rurale, réduction de la pénibilité des tâches.

Contexte
Le projet Paméla a vocation à renforcer les économies locales dans des régions où la FONDEM a déjà oeuvré en Casamance et dans le sud de Madagascar. 10 localités rurales bénéficient aujourd’hui de services énergétiques de qualité, fondés sur des énergies renouvelables et gérés par des exploitants locaux. L’accès à l’électricité dans ces localités a favorisé l’émergence de nouvelles activités économiques, en particulier de services (recharges de téléphones portables, entrepôts réfrigérés). Toutefois, l’émergence d’activités productives plus structurantes ne va pas de soi. Le développement économique local est favorisé par l’accès à l’électricité mais il ne donne sa pleine mesure en la combinant avec d’autres facteurs : l’accès aux financements des entrepreneurs locaux, l’accès à des équipements productifs de qualité, la maîtrise de la comptabilité et la promotion pour le développement de nouveaux marchés, etc. Les activités productives à fort potentiel doivent être identifiées  : maraîchage, transformation de fruits, conservations de produits de la pêche, artisanat local (menuiserie, couture, etc.). FONDEM, 2018 et site Web de la fondation).

  • Programme d’accès aux énergies renouvelables – Zone Nord Sénégal (Saint-Louis) (PAER) mis en place à travers le Partenariat Lille/Région des Hauts-de-France et Saint-Louis au Sénégal

Depuis 2017, le Programme d’Accès aux Énergies Renouvelables (PAER) dans la Région de Saint-Louis est mis en œuvre à travers un pilotage conjoint avec l’Agence Régionale de Développement (ARD) et l’ONG GERES (appui au volet technique). Ce programme vise la diffusion des énergies renouvelables, en réalisant des projets démonstratifs (solaire et biogaz) à destination des ménages, opérateurs économiques et organisations paysannes (PAER, 2020). La première phase du projet s’est déroulée de 2017 à 2020. Une des premières activités réalisées sur le terrain fut l’accès aux énergies renouvelables à Cas-Cas. Dans ce village, 456 femmes maraîchères exploitent chacune une parcelle de 40 m². La zone de culture irriguée par une pompe au diesel représentait un coût important pour ce Groupement d’Intérêt Économique (GIE). Pour y remédier, un système de mix énergétique (solaire et biogaz) aura permis de réduire les émissions de CO2, de faire des économies sur l’achat de carburant et parvenir à de meilleurs rendements agricoles et donc de diversifier leurs sources de revenus (fabrication de produits transformés).

De quelques résultats et de quelques faiblesses
Création de trois plateformes de production énergétique : 3 modèles différents (biogaz et solaire). Installation de 30 biodigesteurs au profit de ménages (production de biogaz de cuisson et d’engrais). Mise en place d’un dispositif de recherche-action sur les énergies renouvelables en lien avec l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Ce projet est intéressant dans la mesure où il a mobilisé plusieurs acteurs (institutionnels, entreprises, universités et centres de recherche) dans un maillage d’une région du Nord (France) et du Sud (Sénégal) et qu’il est multisectoriel. Le problème de fond a été la faible mobilisation des organisations paysannes et des entreprises locales. Une approche initiale trop « top/down » et peut-être une ambition trop forte pour une durée trop courte du projet.

  • Expérience-phare, celle d’une organisation paysanne, l’UGPM soutenue notamment par l’ONG Terre solidaire, la SIDI française et l’UPA DI (programme LSGT) : miser sur la finance solidaire avec les groupements paysans et des collectifs de femmes.

Expérience-phare pourquoi ? Parce qu’elle a su et pu croiser plusieurs conditions de réussite : 1) l’existence d’une organisation paysanne regroupant des milliers de membres (2 050 fermes et 5 000 membres dont les 2/3 sont des femmes) qui a l’initiative du processus ; 2) couvrant une région entière et plusieurs dizaines de villages (90) ; 3) une caisse d’épargne et de crédit de groupe ; 4) une coopération financière de capital patient à la bonne hauteur (le fonds d’investissement solidaire français, la SIDI) ; 5) la mobilisation des femmes dans les 90 villages pour canaliser une épargne locale en vue de pouvoir acheter des panneaux solaires le moment venu (des mutuelles de solidarité, les MUSO) ; 6) la création d’un atelier de panneaux solaires dans la région (avec l’expertise locale qui se constitue) pour la construction et la réparation.

Sénégal/La fée solaire gagne les villages du Sahel
Aux alentours de Méckhé, à trois heures de route au nord de Dakar, les paysans de villages isolés bénéficient de l’électricité photovoltaïque grâce aux mutuelles de solidarité (épargne locale) paysanne, regroupées par une coopérative d’épargne et de crédit. Un montage original rendu possible grâce, notamment, au partenariat avec la Sidi. Patrick Piro dans le magazine de Terre solidaire, numéro 259, juin-juillet 2011. http://www.oikosblogue.com/?p=8461

On remarque d’abord qu’il y a un changement d’échelle : plusieurs organisations, plusieurs villages, plusieurs financements croisés : dans le cas de l’UGPM, ce sont 2 050 fermes familiales, 5 000 membres et 90 villages qui ont bougé. Et un financement de $300 000 euros (dont les 2/3 provenaient d’un prêt de capital patient de la SIDI). Ce créneau n’est pas pour autant de grande échelle. Cette intervention a nécessité une assise forte à l’échelle locale au point de départ, laquelle s’appuie sur les savoir-faire des communautés de producteurs agricoles organisés et des femmes également organisées en mutuelles dans les villages. Il fait la démonstration de l’importance d’être proche des besoins locaux des communautés tout en pensant simultanément sa reproduction à une échelle plus large (la région).

Conclusion, aujourd’hui grâce aux coûts nettement à la baisse de plusieurs énergies renouvelables, l’électrification rurale verte est devenue, non pas une « affaire » qu’on laisse à d’autres (le privé ou l’État dont on sait que ni l’un ni l’autre ne viendra en milieu rural) mais bien une carte maîtresse de l’agroécologie et du développement des communautés en général : une transition énergétique adossée au renforcement d’une agriculture locale génératrice de plus de revenus laquelle soutient en dernière instance les services d’éducation et de santé. Il y a d’ailleurs là un point de convergence des intérêts de tous dans les communautés : les familles, les producteurs agricoles, le petit commerce, les écoles, les dispensaires, les communes… [3]

4) L’enquête menée auprès d’OCI québécoises : qu’avons-nous appris ?

Nous avons d’abord procédé à un premier inventaire d’une douzaine d’OCI (sites et rapports annuels) pour savoir ce qu’il en était à ce sujet. Nous avons choisi des OCI de taille moyenne, avec un historique et des engagements dans le monde agricole et rural, des interventions liées à la sécurité alimentaire et des préoccupations de transition écologique. Nous avons procédé à des entrevues avec les directions de certaines de ces OCI. Nous avons mené une recherche documentaire québécoise et internationale sur le thème central des énergies renouvelables au Sud en milieu agricole (avec un intérêt particulier pour le solaire). Enfin nous avons mis à profit les travaux de la CRDC en développement local et mené une observation participante soutenue au sein de l’AQOCI (six AGA et 5 ans de participation active à un groupe de travail de l’AQOCI sur un projet de fonds dédié au développement de projets économiques dans des communautés du Sud lequel recommanda au final la création du FISIQ) [4] .

Grosso modo, les tendances qui s’en dégagent sont les suivantes : d’abord nous avons des OCI qui ont une longue trajectoire dans le développement social des communautés avec une série de variantes liées soit à la santé, à l’éducation, à la sécurité alimentaire et à la défense des droits humains. C’est le cas de la très grande majorité des 62 OCI membres de l’AQOCI. Par contre il y a un angle mort dans cette coopération de proximité : les assises économiques des communautés et leurs infrastructures dont l’électrification n’en font pas partie. Mais nous avons pu constater qu’une minorité d’OCI, dont certaines de celles étudiées plus attentivement, sont dans une démarche active pour sortir de l’angle mort notamment par une participation au développement du FISIQ et par les demandes de certaines logées au Programme gouvernemental québécois de coopération climatique internationale (le PCCI) [5] . Déplions un peu tout ça !

Notre coopération peut faire aujourd’hui ce qui était impensable il y a 10 ans

Notre coopération de proximité n’a pas considéré jusqu’à maintenant l’électrification comme un volet stratégique d’intervention dans les communautés comme c’est en bonne partie le cas de la coopération européenne. Objet non identifié. Ce volet était encore perçu, non sans raison assurément, comme hors de portée au plan économique et hors des compétences qui lui sont liées. Et dans la perception commune, l’électrification relevait spontanément de grandes entreprises privées ou publiques nécessitant d’énormes financements, une centralisation obligée des services et beaucoup de professionnels du génie électrique. En outre, il y a 10 ans, les énergies renouvelables n’avaient pas encore véritablement fait leur entrée sur le marché comme alternatives aux énergies fossiles. La grande majorité des OCI québécoises sont d’ailleurs peu ou pas informées de l’évolution des énergies renouvelables et de ses progrès de la dernière décennie (2010-2020). Un point aveugle en quelque sorte. Or c’est aujourd’hui manifeste : notre coopération peut maintenant intervenir en la matière notamment parce que les coûts des énergies renouvelables sont à la baisse (le solaire en particulier) et que la création de réseaux décentralisés est dans l’ordre des possibles. Sans compter la sensibilité écologique qui a beaucoup progressé depuis une décennie se traduisant par des plans sectoriels ou transversaux de transition écologique : gestion durable des forêts, agriculture écologiquement intensive (semences locales, gestion des déchets agricoles par biodigesteurs, commerce équitable, etc.), petite hydraulique villageoise, petites éoliennes…

À la condition, bien sûr, de penser l’économique et le social ensemble. En misant sur la finance solidaire dans le cadre d’économies de proximité, il est possible d’aller plus loin que le micro-projet en la matière : des ateliers de panneaux solaires gérés par des entreprises collectives locales et régionales, à l’initiative d’organisations paysannes, avec le soutien d’institutions financières locales et une coopération du Nord pouvant leur fournir des prêts de capital patient à la bonne hauteur sans oublier la mise à contribution des femmes au plan de l’épargne locale (les MUSO) comme l’illustre fort bien l’exemple de l’Union des groupements paysans de Meckhé (UGPM) dans la région de Thiès (Sénégal) qui démontre que l’énergie solaire par micro-réseaux décentralisés à une échelle de moyenne envergure (90 villages, 2 050 fermes) est de l’ordre du possible et fortement souhaitée par d’autres chercheurs que nous comme la Fondation des études sur le développement international (2018) :

…Il faut renforcer la décentralisation du secteur de l’énergie, menant à une approche plus bottom-up…Cela inclut la mobilisation et l’autonomisation des autorités locales ainsi que la sensibilisation de développeurs potentiels de projets des communautés…

Les nouveaux habits de la solidarité internationale : miser sur les économies de proximité

Avec l’arrivée du FISIQ et son financement de prêts en capital patient, une nouvelle concertation entre OCI disposant d’une approche tout à la fois économique et sociale est possible. Elle peut également être adossée à un financement public nouveau du côté du gouvernement du Québec, le Programme de coopération climatique international (PCCI).

Bref, pour un bon nombre de communautés, la cuisine au charbon de bois, les récoltes qui pourrissent dans les champs, les accouchements à la chandelle, les soirées sans que les enfants puissent faire leurs devoirs, le petit commerce local condamné à fermer en fin de journée, le temps mis à faire des kilomètres afin d’alimenter les cellulaires…pourraient devenir l’« affaire » d’une autre époque comme l’est devenue l’agriculture québécoise après 1945.

 

Ce billet a été rendu possible grâce à la collaboration de la Caisse d’économie solidaire Desjardins qui finance cette année les coûts de travail des mobilisations régionales du Fonds Solidarité Sud.

Références

[1] Ce billet a été produit à partir d’un rapport de recherche demandé par le Conseil d’administration du FSS. Pour cette recherche, le comité Recherche et Développement était sous la coordination d’Évelyne Foy avec la participation de Louis Favreau, Colette Fournier et Roger Lecourt.

[2] La SIDI est un fonds français de développement dédié à des projets socio-économiques au Sud par système de prêts et de garanties de prêts. La SIDI fait cela depuis plus de 35 ans http://www.sidi.fr/la-sidi-en-bref/

[3] Pour en savoir plus sur diverses expériences d’électrification rurale en Afrique de l’Ouest, on peut se référer à l’excellente évaluation de 16 projets d’électrification rurale par mini-réseaux à Madagascar (FODEM, mars 2020) http://www.fondem.ong/publication-dune-etude-de-capitalisation-de-16-projets-delectrification-rurale-a-madagascar/

[4] Le Fonds d’investissement solidaire international du Québec (FISIQ) est officiellement né en 2018. Le train est en gare. Il est désormais sur les rails, c’est-à-dire opérationnel. Pour en savoir plus on va son site : https://fisiq.org