La crise alimentaire de 2008, avec ses émeutes de la faim causées par la hausse des prix des aliments, a remis l’agriculture sur le devant de la scène internationale. La famine actuelle dans la Corne de l’Afrique pose la question avec encore plus d’acuité. Comment allons-nous nourrir le monde de demain ? Comment aider un milliard de paysans et d’exploitants familiaux pour assurer la subsistance de leur famille, la souveraineté alimentaire de leur pays… À ces questions, qui font l’objet de débats importants à l’échelle mondiale, les mouvements paysans proposent des réponses innovatrices. Entretien avec une spécialiste des mouvements paysans ouest-africains et doctorante en sciences sociales appliquées à l’UQO de retour d’un séjour de deux mois en Afrique de l’Ouest.

Entrevue réalisée avec Nathalie McSween, doctorante en sciences sociales appliquées à l’UQO

Louis Favreau : Dans tes travaux de recherche, tu dis que la question de l’insécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest est davantage une question politique que technique. Pourquoi?

Nathalie McSween

Le problème est politique à deux niveaux : au niveau de l’accès des populations aux produits alimentaires et au niveau de la productivité de l’agriculture. Au niveau de l’accès des populations aux produits alimentaires, il faut savoir que cela fait plus de 40 ans, soit depuis les années 1970, que la production alimentaire mondiale est suffisante pour nourrir l’ensemble de la population de la planète. Pourtant, selon les dernières estimations de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 925 millions de personnes (dont le quart en Afrique) vivent aujourd’hui en situation de malnutrition et d’insécurité alimentaire. Qui sont ceux qui ont faim aujourd’hui? Ce sont les personnes qui n’ont pas accès à une nourriture par ailleurs disponible. Et ce, en raison de conflits politiques – ce sont alors les minorités politiques, ethniques, religieuses, qui sont touchées – ou pour des raisons économiques – ce sont alors les pauvres qui, en raison de leur faible pouvoir d’achat, sont touchés. Alors que la crise actuelle dans la Corne de l’Afrique entre dans les deux catégories à la fois, la crise alimentaire de 2008 était clairement une crise de la 2e catégorie : l’accès aux aliments a été restreint en raison d’une flambée des prix des produits agricoles par ailleurs tout à fait disproportionnée par rapport aux conditions objectives de la disponibilité des aliments à l’échelle mondiale : soit une baisse de 10% de la production agro-alimentaire mondiale en raison de mauvaises récoltes dans des pays agro-exportateurs du Nord (Ukraine, États-Unis, Russie) et en Australie. Les causes sous-jacentes à la flambée des prix des aliments en 2008 n’étaient pas agricoles : la flambée des cours du pétrole, les opérations de spéculation sur les cours, la décision de certains États de suspendre ou de restreindre leurs exportations afin de nourrir prioritairement leurs populations… Considérant que ce sont surtout les produits agricoles importés qui ont fait les frais de la flambée des prix, ce que la crise de 2008 a surtout révélé est la vulnérabilité des systèmes alimentaires qui misent sur le marché international pour assurer la sécurité alimentaire de leurs populations. L’ouverture des frontières aux produits alimentaires importés dans les années 1980 a par ailleurs eu pour conséquence de réduire les revenus des producteurs agricoles nationaux de ces pays, qui ne pouvaient souvent pas faire concurrence aux bas prix auxquels étaient offerts ces produits importés (qui étaient souvent subventionnés dans leur pays d’origine). De nombreux paysans ont vu fondre leurs revenus et, incapables de vivre de leurs activités agricoles, plusieurs actifs ont migré vers les villes.

Au niveau de la productivité de l’agriculture, la question est, là aussi, très politique. Je prends l’exemple de l’Afrique de l’Ouest, que je connais davantage. Cette région qui comprend 15 pays [1] et regroupe 290 millions d’habitants, dont 60% de ruraux en moyenne, est parmi les plus pauvres du monde. L’agriculture compte pour 35% du PIB de la région, pour plus de 15% des exportations régionales et elle emploie plus de 60% de la population active [2], essentiellement dans le cadre d’exploitations familiales de petite taille.

Jusqu’à présent, l’accroissement de la production agricole régionale a suivi la courbe de l’accroissement démographique. Ainsi, on estime que, compte tenu de l’importance de l’autoconsommation dans les ménages agricoles et du rôle central joué par les marchés urbains de proximité en ce qui concerne les produits vivriers, environ 80% des besoins alimentaires des populations sont satisfaits par les productions régionales. Le défi des prochaines décennies est cependant important puisque l’on estime que la population de l’Afrique de l’Ouest passera de 290 millions aujourd’hui à 450 millions en 2030, dont 60% d’urbains demandeurs de produits agro-alimentaires.

L’agriculture ouest-africaine sera-t-elle en mesure de répondre à ce défi? En Afrique de l’Ouest, les programmes d’ajustement structurels des années 1980 ont signifié la fin du soutien des États au secteur agricole vivrier au profit du secteur agro-exportateur. Les producteurs ont été largement laissés à eux-mêmes en ce qui a trait à la fourniture d’intrants (semences, engrais, etc.), à la transformation et à la commercialisation, mais ils ont aussi fait les frais des coupes budgétaires dans la recherche agricole et dans les services de vulgarisation agricole, ce qui ne leur a pas permis d’accroître significativement leur rendement par hectare. Ainsi, l’accroissement de la production dans la sous-région a été jusqu’à présent fondé surtout sur un accroissement des superficies cultivées. Un modèle à revoir dans un contexte où les experts prévoient que le changement climatique donnera lieu à un accroissement de phénomènes climatiques extrêmes, tels des sécheresses, qui auront des impacts importants sur la productivité agricole, notamment pour les agricultures pluviales d’Afrique subsaharienne.

Tous les acteurs appellent aujourd’hui à une intensification de l’agriculture. Tous les acteurs s’entendent sur le fait qu’il faille de meilleures semences, de meilleurs engrais et des meilleures techniques agricoles. Pour les organisations paysannes ouest-africaines cependant, toutes ces solutions techniques devraient s’articuler autour d’un acteur central : l’exploitation familiale. Le cœur de l’argumentation des mouvements est qu’il y a en Afrique de l’Ouest un potentiel important d’accroissement de la productivité de l’agriculture au sein même des exploitations familiales existantes, mais que l’intensification de la production dans ce cadre nécessite un soutien important et concerté. Par ailleurs, dit-on, la productivité des exploitations familiales ne se limite pas à un accroissement de la production, mais constitue aussi un vivier d’emplois qui permet de réduire l’exode rural et, de là, les migrations internationales chez les jeunes. Bref, la position des mouvements paysans, c’est que s’ils étaient soutenus et s’ils avaient la certitude de pouvoir vendre leur production de façon rémunératrice, les exploitations familiales pourraient sans problème répondre à l’accroissement de la demande agro-alimentaire prévue dans les prochaines décennies.

Louis Favreau : Tu retraces dans tes travaux les principales luttes qui ont été menées par les mouvements paysans en Afrique de l’Ouest. Qu’est-ce qui caractérise ces luttes et comment s’articulent-elles avec le contexte international de l’agriculture?

Nathalie McSween

Dans la dernière décennie, les mouvements paysans ouest-africains ont mené deux grandes luttes de façon quasi-simultanée. La première lutte et celle autour de laquelle s’articulent toutes les autres, c’est celle des politiques agricoles. La deuxième, c’est celle de l’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne.

­­Il faut savoir d’abord que si la naissance des premières organisations paysannes autonomes en Afrique de l’Ouest remonte aux années 1970, la structuration de ces organisations à l’échelle nationale et à l’échelle de la sous-région est relativement récente. À l’échelle sous-régionale, c’est-à-dire à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, le Réseau des organisations paysannes et des producteurs d’Afrique de l’Ouest (ROPPA) n’a ainsi été créé qu’en 2000. Au niveau des pays, le Sénégal par exemple, ne s’était doté d’une structure représentant l’ensemble du monde rural, le Cadre national de concertation des ruraux (CNCR), qu’en 1993. Ailleurs en Afrique de l’Ouest, on avait des organisations paysannes dont les niveaux d’organisation ne dépassaient généralement pas le niveau de faîtières nationales – même si celles-ci pouvaient être, à l’instar des Naam au Burkina Faso ou de l’AOPP au Mali, fort dynamiques – mais sans qu’existe une structure de concertation représentative de l’ensemble des producteurs agricoles du pays. Malgré leurs niveaux de structuration qui n’étaient pas homogènes, dix de ces organisations ont décidé en 2000 de se mettre ensemble et de se donner une structure qui pourrait porter leur voix à l’échelle sous-régionale (ils sont maintenant douze).Pourquoi ce développement? Essentiellement parce que, chacune de leur côté et en discutant entre elles, ces organisations se rendaient de plus en plus compte que les décisions qui les concernaient, qui concernaient le monde agricole, n’étaient plus prises à l’échelle nationale, mais de plus en plus à l’échelle mondiale, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais aussi à l’échelle régionale, au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), où ils n’avaient pas de moyens pour faire entendre leur voix.

Dans les années 2000, les organisations paysannes regroupées sous la bannière du ROPPA se sont mobilisées pour développer et faire entendre leur vision dans le cadre des processus en cours. Il y avait urgence en effet : l’Accord de Cotonou, signé en 2000, prévoyait la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et la zone CEDEAO au plus tard en décembre 2007. Et comme un minimum de coordination des politiques au sein d’une entité régionale est nécessaire pour qu’un tel accord ait lieu avec une autre entité régionale, des processus d’élaboration de politiques, notamment dans le secteur agricole, s’étaient mis en branle dans la sous-région. Au sein des organisations paysannes, si on voyait le processus des APE essentiellement comme une menace, son corollaire, l’élaboration d’une politique agricole commune, était plutôt perçu comme une opportunité.

Dans la courte période allant de 2000 à 2006, année de l’adoption de la politique agricole commune de la CEDEAO, le ROPPA est ainsi parvenu à développer en son sein une vision paysanne de l’agriculture pour la sous-région, à faire entendre cette vision au sein de la CEDEAO en participant formellement à l’élaboration de la politique en tant que représentant des paysans et à faire reconnaître au moins des éléments centraux de sa vision dans la politique adoptée : 1) le soutien aux exploitations familiales pour assurer la sécurité alimentaire et le développement ; 2) la préférence nationale ou communautaire pour l’approvisionnement alimentaire des populations. Dans un mouvement d’inter-influence, des politiques agricoles s’inscrivant dans la même logique ont aussi été élaborées avec, là aussi, la participation active des organisations paysannes, et adoptés dans deux pays de la sous-région, le Sénégal et le Mali, respectivement en 2004 et en 2006. Des politiques agricoles qui s’inspirent des expériences du Sénégal et du Mali sont par ailleurs en cours d’élaboration au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Bénin. Il reste évidemment à voir comment toutes ces lois se traduiront concrètement. Ce sera la bataille des prochaines années : veiller à ce que les lois ne restent pas lettre morte, mais aient des résultats concrets et tangibles pour les paysans.

En ce qui concerne l’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et la CEDEAO, les mouvements paysans ouest-africains, à l’instar de nombreuses ONG internationales, se sont dans un premier temps fortement opposés au processus. À partir de 2006 cependant, la position des paysans s’est nuancée et en 2007-2008, les leaders paysans du ROPPA, invités à participer aux discussions sur l’identification des « produits sensibles » qui seraient protégés de la libéralisation, ont travaillé à – et ont obtenu – l’ajout d’une 5e bande tarifaire permettant d’imposer des droits de douanes de 35% sur ces produits, qui comprennent la grande majorité des produits agricoles vivriers de l’Afrique de l’Ouest. L’APE n’a pas encore été signé à ce jour puisque les États ouest-africains poursuivent les négociations afin d’arriver à une liste de produits sensibles sur laquelle tous s’entendent, mais il serait très étonnant qu’il y ait des reculs sur la protection des produits vivriers d’ici la signature.

Louis Favreau : Quels liens ces mouvements que tu décris tissent-ils avec le mouvement paysan à l’échelle internationale?

Nathalie McSween

C’est assez récent de parler d’un mouvement paysan international. Il y a longtemps que les agriculteurs sont actifs sur la scène internationale, soit par le biais de leurs structures coopératives, soit par le biais de la défunte Fédération internationale des producteurs agricoles (FIPA) – qui a été récemment remplacée par l’Organisation mondiale des agriculteurs – une structure de représentation née après la seconde guerre mondiale et qui regroupait initialement surtout des producteurs de pays du Nord, mais qui avait fait dans les années 1990 et 2000 des efforts notables pour inclure des organisations de producteurs du Sud : avant de déclarer faillite en 2010, la FIPA regroupait 110 organisations nationales en provenance de 75 pays, dont 30 dits en développement. Pour autant, quand on parle aujourd’hui d’un « mouvement paysan international », on fait plutôt référence à La Via Campesina, un mouvement né en 1993 qui a initialement émergé surtout à partir de dynamiques paysannes latino-américaines, mais qui a maintenant des antennes dans toutes les régions du monde.

La Via Campesina, c’est 148 organisations dans 69 pays. Sur le continent africain, seules 11 organisations paysannes en sont membres. Les 4 organisations ouest-africaines (Sénégal, Mali, Niger, Togo) membres de Via Campesina sont aussi membres du ROPPA et la Coordination nationale des organisations paysannes du Mali (CNOP), un membre actif du ROPPA, anime la « région Afrique 2 » de Via Campesina.

Les organisations paysannes ouest-africaines s’inscrivent dans plusieurs dynamiques. D’abord dans une dynamique de renforcement du mouvement à l’échelle de la sous-région et à l’échelle nationale, une dynamique qui passe centralement, selon les résolutions de la dernière Convention du ROPPA, par le renforcement des Plateformes nationales, dont plusieurs sont encore en processus de construction. Il ne faut pas oublier qu’au moment de la création du ROPPA, les dynamiques de structuration nationales des organisations paysannes étaient très hétérogènes. La construction de plateformes paysannes représentatives et fortes à l’échelle nationale était d’ailleurs un des objectifs que s’étaient donnés les membres lors de la fondation du ROPPA. Plusieurs avancées ont été faits en ce sens dans la dernière décennie, au Bénin et au Togo par exemple, mais le processus demeure encore inachevé dans plusieurs pays et demeure donc une priorité pour le mouvement dans son ensemble.

Le ROPPA s’inscrit aussi dans une dynamique de construction d’une Plateforme continentale regroupant les cinq réseaux paysans régionaux du continent (Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, Afrique australe, Afrique centrale, Maghreb). Le Forum panafricain des producteurs agricoles (PAFFO) a ainsi été créé en octobre 2010. Enfin, les mouvements paysans ouest-africains sont parties prenantes du mouvement paysan international par le biais du membership de plateformes paysannes ouest-africaines au sein de la Via Campesina, mais aussi par le biais de leur participation à des évènements internationaux où les représentants des organisations paysannes de divers pays se rencontrent, échangent et se concertent sur des enjeux communs. Un de ces évènements est le Forum social mondial (FSM). Le dernier en date, qui s’est tenu à Dakar au Sénégal en février 2011, a ainsi été une occasion de rencontre et de dialogue entre des organisations paysannes du monde entier. La structure de concertation paysanne sénégalaise, le Conseil national de concertation des ruraux (CNCR), y avait ainsi organisé un « village paysan » où la question foncière, qui est une question très actuelle dans les réseaux paysans, tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale, a pris le devant de la scène.

La crise alimentaire de 2008 a accru de façon importante l’intérêt des investisseurs pour les terres agricoles en Afrique subsaharienne. Un enjeu auquel on fait référence sous le vocable d’« accaparement des terres » dans les milieux militants et qu’on appelle « investissement agricole » dans les autres milieux. Dans un rapport récemment publié , les experts de la Banque mondiale ont trouvé que, entre 1990 et 2005, la superficie des terres cultivées dans le monde s’est accrue de 2,7 millions ha/an, pour un total de 1,5 billions ha en 2005. En tenant compte du déclin des superficies exploitées dans les pays développés (-0,9 millions ha) et en transition (-2 millions ha), on parle d’un accroissement des superficies de 5,5 millions ha/an dans les pays en développement, dont l’essentiel a été concentré en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et Caraïbes et en Asie du Sud-Est, où des millions d’hectares ont été transférés à des investisseurs dans les dernières années. La Banque avance par ailleurs qu’en raison de la demande croissante pour les produits agricoles attendue dans les prochaines années, on doit s’attendre à une croissance des superficies exploitées de 6 millions ha/an d’ici 2030. Elle estime que les 2/3 des nouvelles terres qui seront mises en exploitation d’ici là le seront en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, là où les terres agricoles potentielles sont les plus abondantes.

La question de « l’accaparement des terres » est donc au premier plan des préoccupations actuelles des mouvements paysans. Avant « l’Appel de Dakar contre les Accaparements de Terres » lancé au FSM 2011, il y avait eu « l’Appel de Kolongotomo sur l’accaparement des terres au Mali » en novembre 2010. Kolongotomo est dans la zone de l’Office du Niger, au Mali. Dans cette zone d’un million d’hectares de terres agricoles, les organisations paysannes maliennes estiment que jusqu’à 700 000 ha de terres agricoles auraient été octroyés à des investisseurs étrangers dans les dernières années. Les acquisitions les plus emblématiques sont celles réalisées par la société Malibya (100 000 ha) et par le Groupe Tomota (100 000 ha). La cession de terres par les gouvernements à des investisseurs privés, si elle n’est pas à proprement dit illégale, n’est cependant pas, selon les organisations paysannes maliennes, en conformité avec les orientations générales de la loi d’orientation agricole adoptée au Mali en 2006, dans laquelle il était prévu qu’un processus de définition d’une politique foncière soit entamé après l’adoption de la politique agricole. C’est là-dessus que le mouvement paysan malien s’appuie aujourd’hui pour contester la cession de terres par l’État. Au Burkina Faso, au Sénégal et ailleurs dans la sous-région, on entend aussi de plus en plus parler – souvent sans être en mesure de le vérifier à partir de sources primaires – de transferts de terres agricoles à des investisseurs privés, que ceux-ci soient étrangers ou nationaux. Une conférence internationale sur l’accaparement des terres est prévue au Mali en novembre de cette année. Il s’agit donc d’un dossier à suivre…

Louis Favreau : Tu as effectué en début d’année une enquête sur les dynamiques du mouvement paysan sénégalais dans le cadre de ta thèse de doctorat et tu as aussi assisté au Forum social mondial à Dakar. Quels sont selon toi les principaux enjeux qui se dessinent pour le mouvement paysan sénégalais et ouest-africain dans les prochaines années?

Nathalie McSween

Je n’oserais certainement pas me prononcer sur la teneur des luttes que les mouvements choisiront de mener dans les années à venir. Ce que je peux dire cependant, c’est que les luttes qui ont été menées dans la dernière décennie ne sont pas terminées. Le défi principal sera d’assurer un suivi afin que les politiques agricoles dont les mouvements sont si fiers soient effectivement mises en œuvre. On sait que le diable est dans les détails et que c’est quand il est question d’investissements concrets que les luttes sont les plus serrées. À l’échelle sous-régionale, le ROPPA s’est ainsi investi dans le processus du Programme régional d’investissement agricole (PRIA), l’instrument de mise en œuvre de la politique agricole de la CEDEAO et pilote même certaines mesures spécifiques du PRIA. À l’échelle nationale cependant, la participation effective des organisations paysannes dans les Programme nationaux d’investissement agricole (PNIA) laisse à désirer. Non seulement les Plateformes paysannes n’ont généralement été invitées à participer qu’aux étapes du lancement et de la validation des plans d’investissement, mais les informations leur étaient souvent transmises trop tardivement pour qu’elles soient en mesure de prendre position avant l’atelier de validation. Le plus grand reçu cependant, et ça, ça s’est vu dans plusieurs pays, c’est au niveau du choix des représentants du monde paysan dans le processus des PNIA. Au Sénégal par exemple, c’est l’État qui a désigné l’organisation chargée de représenter les paysans dans ce processus. Il a choisi le syndicat Japando, une structure qui avait été récemment créé par l’État et dont la représentativité par rapport au monde paysan est douteuse.

Bref, s’il y a eu jusqu’au milieu des années 2000, une ouverture des États à la participation des organisations paysannes à l’élaboration des politiques et des programmes dans le domaine agricole et si cette ouverture semble se maintenir à l’échelle régionale, on voit maintenant émerger à l’échelle nationale une tendance vers la marginalisation des organisations paysannes par les États. Comme la capacité d’interpellation des mouvements paysans ouest-africains a résidé depuis leurs débuts dans leur légitimité par rapport au monde paysan qu’ils représentaient, pour que les États continuent d’accepter, de bonne ou de mauvaise grâce, le principe de la coopération conflictuelle, la poursuite du processus de construction du mouvement est, me semble-t-il, le défi central des prochaines années.

Pour en savoir plus

Des ouvrages

Alternatives Sud (2008). État des résistances dans le Sud 2009. Face à la crise alimentaire. Louvain-La-Neuve : Centre Tricontinental. Sur les luttes sociales menées dans les pays du Sud dans le cadre de la crise alimentaire de 2007-2008.

Brunel, Sylvie (2009). Nourrir le monde. Vaincre la faim, Paris : Larousse. Sur la question agroalimentaire à l’échelle mondiale à partir du point de vue d’une géographe européenne.

Cissokho, Mamadou (2009). Dieu n’est pas un paysan. Bonneville & Paris, Présence africaine & GRAD. Le mouvement paysan ouest-africain par un de ses leaders historiques.

Desmarais, Annette Aurélie (2008). La Via Campesina. Une réponse paysanne à la crise alimentaire. Montréal : Écosociété. L’émergence du mouvement Via Campesina à partir de la perspective d’une militante canadienne qui en a fait sa thèse de doctorat.

Devèze, Jean-Claude (dir.) (2008). Défis agricoles africains. Paris, Karthala. Sur les agriculture familiales en Afrique subsaharienne.

Des sites

L’actualité du monde paysan ouest-africain sur la toile : http://www.inter-reseaux.org

La recherche concernant le monde paysan sénégalais et ouest-africain : http://www.ipar.sn

[1] Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Guinée-Conakry, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.