Avec le grand événement international qu’est le Sommet de la Terre (Rio + 20) et avec les documents que l’ONU a mis en circulation à cet effet, des rapports de force nouveaux se construisent et d’autres se déconstruisent quant à la manière d’arriver à faire la transition écologique de l’économie. À grande comme à petite échelle ! La notion d’« économie verte » est au coeur de ce rapport de force. Elle fait débat : « …une partie importante de la société civile doute qu’une « économie verte » puisse permettre de reprendre le contrôle du climat, restaurer la biodiversité, réduire la pauvreté et instituer un meilleur équilibre entre les hémisphères nord et sud » nous dit Louis-Gilles Francoeur dans le journal Le Devoir du 21 juin. On en convient ! Mais il faut pousser plus loin la réflexion et surtout « matérialiser » ce concept. Dénoncer le capitalisme vert sous perfusion par des multinationales, c’est une chose ! Mais confondre ce capitalisme vert avec l’économie verte est une erreur comme nous avons tenté de le démontrer dans un billet précédent en montrant les évolutions au sein des institutions internationales comme au sein des mouvements sociaux, évolutions qui permettent de distinguer la notion de « croissance » de celle de « développement », puis celle de « développement » de celle de « développement durable » pour aboutir aujourd’hui à celle d’« économie verte »

Autrement dit il ne faut pas jeter trop vite la serviette comme si les multinationales avaient « capturé » les Nations-Unies pour employer l’expression du président des Amis de la terre International. Parce qu’il y a autre chose qu’une économie verte voyant dans les ressources naturelles de nouvelles opportunités de croissance. Il y a une autre économie bien réelle, certes minoritaire, mais verte et solidaire bien différente de l’autre, opposée même lorsque nécessaire. Dans un autre billet, j’ai rendu compte des échanges qui ont cours au sein du mouvement coopératif et de l’économie sociale et solidaire en général

En d’autres termes, un nouveau rapport de force est en train de se construire : les acteurs dominants que sont les multinationales ne dominent pas tout. Et si on condamne en bloc l’« économie verte » comme certains groupes altermondialistes le font, on risque de passer à côté de politiques publiques pertinentes qui sont en cours ou en projet au Québec et ailleurs : 1) pour une, celle de la biométhanisation (transformation des déchets en biogaz) entreprise par des municipalités de plus en plus nombreuses ; 2) de deux, celle qui peut favoriser un aménagement durable des forêts sous gestion de coopératives ; 3) finalement, à plus grande échelle, celle d’un fonds international dédié au développement durable comme l’a proposé la France à Rio, fonds institué grâce à une taxe de 0,01% sur les transactions financières permettant de financer le passage à une économie verte.

Conclusion à ce chapitre, il faut promouvoir des alternatives et simultanément revendiquer un encadrement (du local à l’international) des investissements de l’économie verte.

Car l’économie verte, ce n’est pas rien ! L’Organisation internationale du Travail (OIT) vient tout juste de sortir un rapport qui « matérialise » bien le concept : Au moins la moitié de la main-d’œuvre mondiale – l’équivalent d’1,5 milliard de personnes – sera affectée par la transition vers une économie verte. Alors que les changements se feront sentir dans l’ensemble de l’économie, huit secteurs clés devraient jouer un rôle central et être particulièrement touchés : agriculture, sylviculture, pêche, énergie, industrie manufacturière à forte intensité de ressources, recyclage, construction et transports.

Et le rapport d’ajouter que …des dizaines de millions d’emplois ont déjà été créés grâce à cette mutation. Par exemple, le secteur des énergies renouvelables emploie maintenant près de 5 millions de personnes, soit plus du doublement des effectifs entre 2006 et 2010. L’efficacité énergétique est un autre gisement d’emplois important, en particulier dans la construction, le secteur le plus touché par la crise économique.

Bref, il y a un rapport de force qui veut inverser la tendance en diversifiant l’économie. Des acteurs et non les moindres sont dans un processus de lutte contre la « monoculture entrepreneuriale » et pour la « biodiversité économique ». À elle seule, sans compter l’intervention possible des gouvernements locaux et des États, les coopératives et autres entreprises à propriété collective, représente 10% du PIB, 10% des emplois et 10% des finances selon le Bureau international du travail (BIT, 2011). Même si le développement durable n’est pas dans leur « ADN », la capacité d’y adhérer peut s’en trouver facilitée de par leur mode de fonctionnement démocratique et leurs finalités sociales. C’est ce rapport de force et cette ouverture à l’urgence écologique que j’ai cherché à illustrer dans trois entrevues réalisées dans les derniers mois avec des journalistes du Devoir. Question de les mettre en perspective, les voici tous les trois, chacun d’elles adossée à un commentaire et à des suggestions de lectures d’été pour aller plus loin et en savoir plus.

Le Québec à Rio – Un Canada sans ONG ni opposition !

« L’ONU reconnaît des organisations internationales de l’économie solidaire comme groupes majeurs. »

 

Pierre Vallée, Le Devoir, 20 juin 2012. Cahier spécial intitulé Tous les regards tournés vers Rio

Ce premier article permet de voir la mobilisation des coopératives et des autres initiatives de l’économie sociale et solidaire à la faveur de Rio + 20, notamment le processus que le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire (FIDESS) a mis en branle pour obtenir la reconnaissance de la place de cette économie dans les enjeux actuels de développement durable de la planète au sein de l’ONU, de ses différentes agences et programmes. Cet article met aussi en lumière deux tendances opposées dans le rapport de force québécois et canadien : le gouvernement Harper qui, encore une fois, fait la preuve de son indifférence totale à l’égard de la société civile et d’autre part l’ESS qui fait son entrée au Sommet de la Terre aux côtés de groupes de défense de l’environnement avec sa plate-forme politique présentée au plus haut niveau (voir à la fin de ce billet des extraits de la dite plate-forme).

Quelque 130 personnes, représentant près de 70 organismes québécois, participeront à la Conférence des Nations unies sur le développement durable à Rio de Janeiro, au Brésil. C’est une délégation d’environ 130 personnes, représentant près de 70 organismes québécois, qui prendra la route vers Rio en juin pour participer à la Conférence des Nations unies sur le développement durable. Certains de ces participants auront des antennes auprès des instances officielles ; d’autres agiront en marge, soit au Sommet des peuples, organisé parallèlement à Rio+20.

La structure organisationnelle de Rio+20 est complexe et comprend trois niveaux de participation. Le premier niveau est constitué des délégations officielles des pays qui participeront à la conférence. Ce sont ces délégations qui négocieront entre elles afin d’accoucher d’un texte commun à la fin de la conférence.

« C’est la première fois que la délégation canadienne ne fait aucune place aux organismes non gouvernementaux, ni aux partis d’opposition. Elle sera entièrement composée d’élus conservateurs, de fonctionnaires fédéraux et de représentants des provinces, dont ceux du Québec », souligne Patrick Bonin, directeur climat-énergie à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).

« On dirait que la politique du gouvernement Harper est de faire taire la société civile dans les événements internationaux », croit pour sa part Louis Favreau, professeur associé en sociologie à l’Université du Québec en Outaouais. M. Favreau a collaboré étroitement avec les entreprises d’économie solidaire à la préparation de leur présence à Rio+20.

Participation de la société civile

Malgré ce tour de passe-passe du gouvernement conservateur, la société civile canadienne et québécoise aura tout de même voix au chapitre grâce au second niveau de participation, soit celui des groupes majeurs tel que défini par l’Agenda 21 de l’ONU. En effet, depuis 1992, l’ONU accorde à certains organismes internationaux de la société civile le statut de participant lors des rencontres internationales tenues sous son égide. « Les groupes majeurs sont donc à la table et peuvent organiser des événements à l’intention des représentants des États, afin de présenter leurs points de vue et leurs propositions », précise Louis Favreau. « C’est à ce niveau de participation qu’a lieu le dialogue entre les gouvernements et la société civile quant aux enjeux critiques qui seront soulevés à Rio+20 », souligne Patrick Bonin.

Les organisations écologistes québécoises seront présentes à ce second niveau grâce à leurs liens avec les groupes majeurs. Dans le cas de l’AQLPA, par exemple, le groupe majeur est le Réseau action climat international. Quant aux organisations québécoises de l’économie solidaire, elles seront représentées par l’Alliance internationale des coopératives et le Forum international des dirigeants de l’économie sociale, responsable des Rencontres du Mont-Blanc. « C’est une première pour l’économie solidaire, précise Louis Favreau, puisque c’est la première fois que l’ONU reconnaît des organisations internationales de l’économie solidaire comme groupes majeurs. »

En marge de Rio+20

Le troisième niveau de participation est celui des événements et des activités que mettront en place les différentes organisations de la société civile, en marge de la conférence officielle, lors du Sommet des peuples. Cette rencontre parallèle est une excellente occasion pour les organisations de la société civile d’échanger et de se réseauter et elle offre aussi une tribune pour donner davantage de visibilité médiatique à leurs propositions. « Évidemment, poursuit Patrick Bonin, il doit y avoir une interaction parmi les trois niveaux de participation et ce sont les représentants des groupes majeurs qui font le lien. Dans ce genre de rencontre, il est facile pour ceux qui sont à l’intérieur de ne pas être au courant de la réalité sur le terrain. »

La délégation québécoise qui se déplacera à Rio représentera l’ensemble de la société civile québécoise. Y seront donc présents les syndicats, les coopératives et les entreprises d’économie solidaire, les groupes altermondialistes, les associations écologistes ainsi que les organisations de développement et de coopération internationale. Ici aussi, une première, selon Louis Favreau. « Auparavant, les composantes de la société civile québécoise avaient l’habitude de travailler en silo sur le plan international. Mais, depuis quelques années, il y a eu un rapprochement entre les différentes composantes. Par exemple, les groupes écologistes ont compris que les entreprises d’économie solidaire ont maintenant pris le virage de l’économie verte. Et Rio+20 est un événement majeur dans la consolidation de ce rapprochement. »

Objectifs recherchés

La délégation québécoise s’est fixée plusieurs objectifs. Au premier chef, il y a l’objectif, partagé avec l’ensemble de la société civile internationale présente à Rio+20, d’influencer les décisions qui seront prises par les délégations officielles des gouvernements. Elle s’est aussi fixé certains objectifs plus spécifiques. « Dans le cas de l’économie solidaire, nous allons vouloir, dans un premier temps, souligner, auprès des représentants officiels, l’importance de l’économie solidaire dans le monde, explique Louis Favreau. Mais nous avons aussi des propositions concrètes d’actions que nous avons réunies autour de cinq chantiers prioritaires. »

Quant aux organismes écologistes, comme l’AQLPA, un des objectifs sera de dénoncer l’attitude du gouvernement Harper en matière d’environnement. « Nous allons en profiter pour faire connaître la véritable position du Canada en matière de protection de l’environnement à l’ensemble de la communauté internationale », souligne Patrick Bonin.

De plus, Rio+20 est une excellente occasion de motiver les troupes. « Un événement comme Rio+20 permet d’attiser la fibre militante des participants », croit Louis Favreau. Une mobilisation de la fibre militante qui est nécessaire, selon Patrick Bonin. « La vitesse d’avancement des ententes internationales est toujours inférieure à celle des problèmes auxquels la société est confrontée. On ne peut donc pas attendre les ententes avant d’agir. Il faut donc que ça avance sur le terrain par des actions et des gestes concrets sur le plan local. La solution viendra de la base et non du haut. »

Lectures suggérées

Larose, G. (2012), « Coopératives : la transition écologique s’impose ! ». Dans Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives ? Revue Vie économique, vol.3, numéro 4, Éditions Vie économique, Montréal. Une entrevue avec le président de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, également membre de la direction des Rencontres du Mont-Blanc (RMB), Gérald Larose.

Favreau, L. et M. Hébert (2012), La transition écologique de l’économie. La contribution des coopératives et de l’économie solidaire. PUQ, Sainte-Foy. Sous presse (sortie fin septembre).

Petrella, R. (2012). Une entrevue de Riccardo Petrella avec un journaliste du Sommet international des coopératives, repris et commenté par moi sur le blogue Oikos.

Mouvement coopératif
Les multinationales devront se confronter à un nouvel acteur politique majeur

« On constate un retour marqué des coopératives et des mutuelles vers leurs valeurs fondamentales. »

 

par Étienne Plamondon Émond, Le Devoir, 21 et 22 avril 2012. Cahier spécial intitulé Économie et environnement

Cet article met en évidence que les multinationales ne sont pas les seules à agir sur le terrain de l’économie et qu’on assiste à un renouvellement des organisations de représentation politique du monde coopératif et de l’économie sociale et solidaire pour fournir des alternatives et contrer la crise qui est tout à la fois économique et écologique. Le mouvement coopératif et de l’ESS redevient progressivement un acteur politique. Quelles sont les nouvelles coordonnées qui démontrent cette affirmation ?

Sur la scène internationale, le mouvement coopératif et celui, plus large, de l’économie sociale s’organisent, s’affirment, échangent, prennent la parole, défendent des positions politiques et s’invitent dans les grands rendez-vous, tout en créant les leurs. Une rafraîchissante dynamique, bien différente de celle à laquelle nous avaient habitués les acteurs de ce modèle économique dans les dernières décennies.

Pour Louis Favreau, sociologue qui étudie les mouvements sociaux d’hier et d’aujourd’hui, l’effervescence internationale qui tonifie depuis peu les mouvements coopératifs, mutualistes et d’économie sociale lui rappelle celle dans les milieux syndicaux qui amené à la fondation de la Confédération syndicale internationale (CSI). « Ça évolue à petits pas, mais, dans les années actuelles, il y a un décollage nettement plus rapide », considère M. Favreau. Comme le mouvement syndical international avant le congrès inaugural de la CSI à Vienne, en 2006, le mouvement coopératif semblait lui aussi « affaibli », « léthargique », « adapté au capitalisme » et n’était plus considéré comme un « facteur de changement ». Il s’est réveillé depuis quelque temps et plaide haut et fort pour une diversité économique. Avec la crise financière de 2008 et ses répercussions, ce mouvement vante à nouveau ses qualités et ne se gêne plus pour se présenter comme une solution à la débandade du modèle économique dominant. « Ce qu’on observait depuis plusieurs années, c’étaient des mouvements de démutualisation, rappelle Stéphane Bertrand, directeur exécutif du Sommet international des coopératives de Québec. Aujourd’hui, on constate un retour marqué des coopératives et des mutuelles vers leurs valeurs fondamentales. »

Prise de conscience

« Le mouvement coopératif est en train de prendre conscience qu’il s’est fait avoir par les multinationales », exprime Louis Favreau, pour expliquer le travail de représentation politique qui se met actuellement en branle. Il évoque entre autres l’allocution de Monique F. Leroux, présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins, lorsqu’elle a souligné les dérives du capitalisme à New York, l’automne dernier, devant les Nations Unies (ONU). « On n’avait pas vu ça depuis longtemps, souligne-t-il, parce qu’on était plutôt timide dans le mouvement coopératif sur l’action politique. La position principale ou dominante, c’était plutôt la neutralité politique. On faisait de la business avec une certaine finalité sociale, mais on ne se mêlait pas de la politique. »

En cette Année internationale des coopératives, le mouvement reprend goût à faire entendre sa voix dans les différents lieux de prise de décisions. « Quand les gouvernements adoptent des politiques, ils oublient souvent le mouvement coopératif », constate Stéphane Bertrand. Il évoque les accords de Bâle III, qui exigent une hausse du ratio du capital de première catégorie dans les établissements financiers pour empêcher d’autres crises de liquidité. Sauf que « mesurer le capital dans une banque coopérative, c’est très différent », affirme-t-il. Le mouvement coopératif cherche donc des moyens de remédier à la situation dans laquelle il se retrouve actuellement, soit être « un géant économique, mais un nain politique », illustre M. Bertrand. Preuve de cette prise de conscience : « L’influence sociopolitique mondiale des coopératives et des mutuelles » constituera l’un des quatre grands thèmes autour desquels s’articulera le Sommet international des coopératives, qui se tiendra à Québec du 8 au 11 octobre 2012.

Une nouvelle ACI

Louis Favreau observe aussi une métamorphose dans les démarches de l’Alliance coopérative internationale (ACI), coorganisatrice du Sommet avec le Mouvement Desjardins et l’Université St. Mary’s, depuis que Dame Pauline Green en est la présidente, et Felice Scalvini, le vice-président en Europe. Un changement de la garde, combiné à une réforme des cotisations, qui concentre des forces vers une meilleure représentation politique auprès des instances internationales. « L’année 2012 offre vraiment une occasion de mettre les coopératives à l’ordre du jour. Nous travaillons très fort, en ce moment, pour que les coopératives soient mentionnées lors de la Conférence de Rio+20, en juin prochain », explique au Devoir Nicola Kelly, directrice des communications de l’ACI. Mais l’ACI ne freinera pas ses ardeurs après Rio+20. Nicola Kelly souligne que l’Année internationale des coopératives atteindra son point culminant du 31 octobre au 2 novembre prochain, lors de l’Expocoop, qui se tiendra cette année à Manchester, en Grande-Bretagne. L’ACI profitera de cette édition pour « lancer une décennie des coopératives ». L’objectif consiste à ce que soit établi, à la fin de cette exposition, un plan menant à 2020. Le Sommet international des coopératives de Québec, quant à lui, affiche déjà ses intentions de voir l’expérience de l’automne prochain se renouveler dans les prochaines années. « Il y a un sens de la planification et de la durée qui est très présent et qui se manifeste », constate Louis Favreau.

Fédérer le mouvement d’économie sociale

Les Rencontres du Mont- Blanc, surnommé le Davos de l’économie sociale, interpellent aussi les instances internationales et les gouvernements. L’organisation a obtenu une invitation formelle pour la Conférence de Rio+20, où elle tentera de démontrer la pertinence de l’entrepreneuriat collectif comme réponse à la crise écologique, économique et sociale. Après la cinquième édition des Rencontres, qui se sont tenues à Chamonix en novembre dernier, une lettre a été envoyée à près de 200 chefs d’État, dans laquelle on peut lire la teneur de vingt propositions liées à cinq grands chantiers. Pour mettre en oeuvre ces chantiers, les Rencontres du Mont-Blanc promettent de faire « un mouvement par une action politique fédérative » et de soutenir « davantage la dimension confédérative internationale des organisations de l’économie sociale et solidaire pour lui assurer plus de poids politique ». Cette action fédérative manque actuellement, insiste Gérard Boismenu, directeur du comité scientifique qui a élaboré le document de travail des Rencontres du Mont-Blanc. « Les mouvements mutualistes, coopératifs et même des économies solidaires, même s’ils sont distincts, ont des points de convergence à plusieurs égards. À travers le monde, ces organisations s’interpellent ou se parlent de plus en plus », remarque M. Boismenu. Par exemple, les responsables des Rencontres du Mont-Blanc et de l’ACI participent aux activités de l’un et de l’autre. « L’idée d’une politique fédérative, ce n’est pas une volonté d’unification.C’est une reconnaissance des différences, mais avec une volonté de faire converger les activités », explique M. Boismenu, aussi doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. « Je pense et j’espère que ça devrait déboucher vers des collaborations encore plus fortes, au niveau international, entre les différents pôles qui existent actuellement. Je pense qu’on a plus de choses à faire ensemble que les uns contre les autres. » Louis Favreau remarque, quant à lui, qu’il « y a une tradition historique dans le mouvement coopératif qui est d’être décentralisé et d’être très sectoriel. Le Québec a fait la preuve qu’il est possible de fédérer. Il y a quand même une quinzaine de fédérations au Conseil québécois de la coopération et la mutualité. »

Lectures suggérées

Favreau, L. (2012), « Les nouvelles dynamiques internationales du mouvement coopératif » dans Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives ? Dans la revue Vie économique, vol.3, numéro 4, Montréal.

Favreau, L. et E. Molina (2012), Le mouvement coopératif et la solidarité internationale. L’expérience de SOCODEVI, Edition conjointe de SOCODEVI, de l’ARUC-ISDC et de l’ARUC-DTC, Québec. Disponible en format numérique sur le site du GESQ

Favreau, L., L. Fréchette et R. Lachapelle (2010). Mouvements sociaux, démocratie et développement. Les défis d’une mondialisation équitable, Québec, PUQ.

RMB (2011), Cinq chantiers et 20 propositions pour changer de modèle à l’heure de Rio+20, FIDESS, Chamonix.

RMB (2012), Lettre aux 194 chefs d’État, FIDESS, Paris/New-York et Rio, 2012.

 

Pour une « biodiversité économique » – L’approche coopérative est le remède à la crise

« Il faut s’intéresser directement à l’économie, puisque l’économie ne s’intéresse pas à nous ! »

 

Claude Lafleur, Le Devoir, 31 mars et 1er avril 2012. Cahier spécial intitulé Société. Année internationale des coopératives

Cet article permet de faire un peu de millage sur le thème des coopératives et de l’économie solidaire dans ce qui distingue leurs initiatives de celles du capitalisme. Pour résumer, nous pourrions dire ceci :

Le sens premier et fondamental attribué à l’économie sociale et solidaire se résume dans la formule utilisée par les coopératives depuis longtemps : s’associer pour entreprendre autrement. Formule construite autour de cinq critères de base : 1) lucrativité maîtrisée (par distinction avec l’entreprise capitaliste qui mise sur le maximum de profit) ; 2) démocratie d’associés (par distinction de l’entreprise capitaliste où dominent de grands actionnaires contrôlant le pouvoir dans l’entreprise) ; 3) logique d’engagement social dans la communauté (par distinction avec une logique de surconsommation individuelle) ; 4) réponse à des besoins dans la recherche d’un « bien vivre » (par distinction avec la création de richesse liée à un « vivre avec toujours plus ») ; 5) ancrage dans les territoires (par distinction avec l’entreprise capitaliste peu soucieuse de sa localisation). Ces traits communs distinguent ces initiatives de celle de l’économie capitaliste de marché. Sur tous ces registres, le capitalisme ne suit pas. (Favreau et Hébert 2012).

Pour déplier quelque peu cette affirmation et examiner comment ces initiatives économiques solidaires nous aident à nous en sortir, ce troisième article met de la chair autour de l’os :
On compare souvent la crise économique qui sévit depuis 2008 à la Grande Dépression des années 1930. Toutefois, pour le sociologue Louis Favreau, elle est plus significative encore, puisqu’il s’agit d’une crise à la fois économique, sociale et écologique.

Louis Favreau fait remarquer qu’on assiste présentement à d’« épouvantables gâchis » qui combinent à la fois l’économique, le social et l’écologique, tel que le déversement de pétrole dans le golfe du Mexique au printemps 2010 : « 60 000 emplois dans le tourisme, l’agriculture et les pêcheries ont été précarisés d’un seul coup. » De même, la crise des subprimes aux États-Unis, « où les banques ont littéralement manipulé les gens pour leur faire acheter des propriétés qu’ils n’avaient pas les moyens de payer, de sorte que nombre d’entre eux ont fini par tout perdre ! » Résultat : pertes d’emploi massives à l’échelle planétaire. « On assiste à l’effondrement de l’économie capitaliste », résume-t-il.

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement des collectivités, Louis Favreau a enseigné pendant 25 ans au Département de travail social et des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais. « La chaire que je dirige étudie principalement le développement des collectivités, ce qui est au coeur de toute démocratie, dit-il. La démocratie ne passe pas uniquement par des élections, des partis politiques et un État central, mais tout autant par les forces vives que représentent les regroupements communautaires, les mouvements coopératifs, syndicaux, agricoles, écologiques, etc. »

Il a en outre publié de nombreux ouvrages, dont le plus récent s’intitule Économie et société : pistes de sortie de crise, publié aux Presses de l’Université du Québec, en collaboration avec Ernesto Molina. « L’une de mes activités importantes à présent, ajoute le chercheur, est d’animer un blogue qui vulgarise les travaux de mes collègues et les miens. »

« Il faut s’intéresser directement à l’économie, puisque l’économie ne s’intéresse pas à nous !, lance-t-il. C’est-à-dire qu’elle nous laisse en plan, sur le bord du chemin, comme chômeurs… Il y a heureusement des solutions de rechange — dont les mouvements coopératifs — que nous étudions depuis longtemps. »

Ne pas confondre

Comme bon nombre d’économistes et de sociologues, M. Favreau constate que les sociétés qui ont le mieux résisté à la crise de 2008 sont celles qui font preuve d’une « biodiversité économique », c’est-à-dire dont l’économie est constituée à la fois d’entreprises capitalistes, d’entreprises collectives et d’entreprises publiques. « Les États-Unis formant une société de monoculture — basée essentiellement sur les entreprises capitalistes — ils figurent parmi les pays qui ont le plus perdu, note-t-il, alors que le Québec en est un hybride intéressant, puisqu’il comprend un secteur non capitaliste développé qui favorise la biodiversité. »

« Il ne faut toutefois pas confondre l’économie capitaliste et l’économie privée », ajoute le professeur Favreau. La première met l’accent sur le profit maximal au bénéfice d’une minorité d’actionnaires, alors que la seconde repose sur une multitude de très petites entreprises et de PME. Les petits commerces, la restauration, les agriculteurs, etc., ont à leur tête des propriétaires qui font fructifier leurs biens, illustre-t-il. Toutefois, ceux-ci sont enracinés dans leur collectivité, et ce n’est pas d’abord l’argent, mais l’emploi, l’appartenance au milieu et l’économie locale viable qui comptent pour eux. À cela s’ajoutent les entreprises collectives — les coopératives en premier lieu — où ce qui prime, c’est l’égalité entre les partenaires, la viabilité économique, et non le profit maximal. »

« L’économie capitaliste, c’est l’individualisation des gains et la socialisation des pertes, alors que l’économie coopérative, c’est la socialisation des gains — par exemple, les ristournes dans le cas des caisses populaires », résume le chercheur.

Il observe en outre que nos gouvernements ne peuvent guère intervenir pour réglementer les grandes entreprises de l’économie capitaliste. « En fait, ils ne parviennent pas à s’entendre entre eux sur de nouveaux modes d’intervention de l’État, note-t-il, de sorte que, à mon avis, dans les prochaines années, il faudra moins compter sur nos gouvernements mais de plus en plus sur la collectivité et les mouvements sociaux. Je n’en fais pas une ligne de pensée normative — une idéologie — mais j’observe que la tendance des gouvernements à répondre à la crise actuelle est plutôt faible… Bon nombre de gouvernements considèrent même que la crise est passée et qu’on va s’en tirer, parce qu’ils espèrent qu’il s’agit d’une crise temporaire. Or les économistes les plus sérieux et les sociologues nous disent que non, non, non, c’est tout autre chose ! »

Lectures suggérées

Bourque, G., L.Favreau et E. Molina (2012), Le capitalisme en crise, quelle réponse des coopératives ? Revue Vie économique, vol.3, numéro 4, Éditions Vie économique, Montréal.

Favreau, L. et E. Molina (2011), Économie et société, pistes de sortie de crise, PUQ, Sainte-Foy.

Extraits de la plate-forme politique des 5/20 (Rencontres du Mont-Blanc, novembre 2011)

Démocratiser l’économie et favoriser sa territorialisation

Favoriser le développement d’un vaste secteur non capitaliste d’entreprises collectives fonctionnant de façon démocratique autour des enjeux de la crise globale que nous traversons.
Miser sur le développement d’emplois de qualité dans le cadre d’une économie axée sur le bien vivre dans un monde équitable.
Soutenir fortement la prise ou la reprise de contrôle des biens communs (eau, terre, ressources naturelles…) par les communautés et les États à partir, plus particulièrement, du développement de coopératives, de mutuelles et d’associations.
Inciter les pouvoirs publics à soutenir la « biodiversité » de l’économie, l’entrepreneuriat collectif et le développement durable et solidaire des territoires.
Développer une finance propre à l’ESS pour soutenir le développement de nouvelles entreprises collectives (fonds de travailleurs, programmes publics et internationaux d’accompagnement des entreprises collectives en démarrage…).

 

Affronter la crise de l’énergie et le réchauffement climatique

Les États doivent contraindre les entreprises à rendre compte de leur utilité sociale et de leur empreinte écologique.
Les États doivent prioriser, par une écofiscalité appropriée, la conversion écologique de leur économie dans l’habitat (efficacité énergétique) et dans le transport.
Les États doivent miser en priorité sur les énergies renouvelables (l’éolien, la biomasse, le solaire, le géothermique…) et le retrait, sinon le contrôle, de l’exploitation des énergies fossiles (gaz de schiste, pétrole…).

Les politiques publiques doivent encourager le développement du mouvement de la consommation responsable et du commerce équitable.

Agriculture écologiquement intensive, filières équitables en alimentation et aménagement intégré des forêts

Des politiques de soutien à une agriculture écologiquement intensive et à un aménagement intégré des forêts doivent s’arrimer aux organisations paysannes et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines.
Des institutions internationales et des États doivent appuyer le droit des peuples à la souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du « tout au marché » dont elles sont prisonnières.

De nouveaux choix sociaux pour l’État

Travailler à renouer au Nord avec un Etat social lié à ses territoires et à ses communautés par une participation citoyenne organisée dans la délibération sur les choix des priorités (en matière de santé, d’éducation, d’habitat, de services sociaux…).
Travailler à soutenir au Sud la refondation d’États sociaux, par une collaboration avec les initiatives d’ESS qui contribuent à solidifier un développement endogène tout particulièrement en matière d’agriculture, d’épargne et de crédit, de santé et d’habitat.

Affronter la nouvelle phase de la mondialisation

Intensifier la solidarité internationale, tout particulièrement la solidarité Nord-Sud et Sud-Sud par le développement de nouveaux partenariats entre coopératives, mutuelles, fonds de travailleurs, associations, syndicats…partenariats encouragés par les pouvoirs publics.

Faire mouvement par une action politique fédérative

Nous croyons nécessaire, aujourd’hui davantage qu’hier, d’exercer une présence plus forte dans l’espace public et des prises de position sur des questions de société

Nous exprimons notre volonté de faire mouvement dans la prochaine décennie avec d’autres organisations (syndicales, écologiques, paysannes…) en instaurant un débat permanent autour d’une plate-forme commune de propositions (sociales, économiques et écologiques)