Le parcours inspirant de Martine Morissette, femme de tête et de cœur, directrice générale retraitée du CJEO

Ce qu’il faut savoir du Carrefour jeunesse emploi de l’Outaouais (CJEO)

  • Le Carrefour jeunesse emploi de l’Outaouais (CJEO) est né en 1984. Il fête donc cette année 40 ans d’engagement envers la jeunesse!
  • Le CJEO est le premier Carrefour jeunesse emploi (CJE) du Québec et donc la référence pour tous les autres CJE qui ont vu le jour par la suite.
  • Les CJE sont des organismes communautaires autonomes engagés auprès des jeunes de 16 à 35 ans qui veulent cheminer vers l’emploi, les études, l’entrepreneuriat ou réaliser un projet d’avenir.
  • Les CJE sont gérés par des conseils d’administration indépendants dans lesquels sont engagés près de 1000 bénévoles.
  • Depuis la création en Outaouais du premier CJE jusqu’à aujourd’hui, plus de 800 000 jeunes ont accompagnés par 1500 intervenants œuvrant au sein de 110 CJE implantés dans chacune des 17 régions du Québec.
  • Entre le CJEO et le Fond Solidarité Sud, il y a une histoire d’amitié et de solidarité autour du désir commun de soutenir les aspirations des jeunes (au Nord comme au Sud) et de s’en donner les moyens en développant l’autonomie financière de nos organisations.

Ce qu’il faut savoir de Martine Morissette

Après 35 ans d’un travail qu’elle a adoré, Martine Morissette a pris sa retraite en 2022 en laissant les commandes du Carrefour Jeunesse Emploi de l’Outaouais (CJEO) à sa complice professionnelle depuis 25 ans, Josée Cousineau.

Martine a joué un rôle de premier dans l’engagement du CJEO avec le Fonds Solidarité Sud depuis ses tout débuts en 2010. Récit d’une complicité sur plusieurs décennies avec une femme engagée, batailleuse et surtout très déterminée.

« Je suis originaire de Mont-Joli, dans le bas du fleuve. J’ai passé une grande partie de ma jeunesse dans le Grand Nord du Québec et au Labrador avec mes parents, mes deux grands frères et ma petite sœur. Au début de ma vie de jeune adulte, j’ai accompagné pendant plus de 10 ans ma jeune sœur aux prises avec la leucémie.

J’ai étudié à l’Université d’Ottawa où j’ai obtenu en 1976 un Baccalauréat en communications sociales. Après mes études, je me suis établie en Outaouais, où j’habite toujours avec mon conjoint où je suis entourée (même à distance) de mes deux enfants maintenant adultes et montréalaises et de mes trois petits-enfants. Ma famille forme un noyau familial tissé serré : nous avons pris soin ensemble d’une grand-maman vivant avec la maladie d’Alzheimer qui a cohabité avec nous pendant 17 ans. »

La jeunesse : un engagement de toute une vie pour Martine

« J’ai toujours travaillé auprès de la jeunesse. Après mes études, mon premier emploi m’a amené à travailler au Centre jeunesse de l’Outaouais puis à l’Adocentre de l’hôpital Pierre-Janet pendant 10 ans. Mon troisième emploi a été à la direction du Carrefour Jeunesse Emploi de l’Outaouais. Le Carrefour venait alors tout juste d’être créé; j’en aurai été la première directrice générale et j’y suis restée pendant 35 ans.

Au moment de sa création en 1986, le CJEO est une innovation majeure. Rien de semblable n’existe ailleurs. Il s’agissait de rassembler sous un même toit toutes les ressources et services pour appuyer les jeunes dans leur parcours d’emploi, leurs rêves et leurs projets. En clair, au lieu de prendre pour point de départ les programmes gouvernementaux existants, le CJEO voulait partir du jeune et de ses besoins d’appui et d’accompagnement pour réaliser son projet et compléter son offre de services à l’aide de programmes de l’État disponibles et dédiés à la jeunesse. Nous voulions créer un lieu unique, dynamique, accueillant et accessible pour les jeunes, une organisation souple et flexible au plan de l’intervention, tout en étant structurée et rigoureuse sur le plan de la gestion et de l’administration. »

Ces deux pans de la vision de Martine se sont non seulement réalisés, mais ont été largement reconnus comme étant de qualité exceptionnelle. En 1995, le modèle d’intervention du CJE a ainsi été jugé à ce point exceptionnel et inspirant que le gouvernement du Québec, alors dirigé par Jacques Parizeau, a décidé non seulement d’en financer la mission, mais aussi d’appuyer l’implantation des CJE partout au Québec. C’était à la fois un aveu d’échec du modèle en place qui peinait à répondre aux besoins des jeunes, mais aussi une audace que l’on retrouve sans doute trop rarement chez nos gouvernants.

« Jacques Parizeau m’a dit un jour : « vous savez, parfois ça va tellement mal à un endroit, c’est tellement gros, c’est tellement impossible, qu’il vaut mieux les laisser mourir de leur belle mort et partir quelque chose à côté ». L’histoire des CJE, c’est un peu ça : laisser mourir un service public qui se fait accroire qu’il est bon, qu’il est présent, de proximité, de qualité et généreux, et partir quelque chose de mieux à côté…

En 1995, j’ai été « prêtée » au gouvernement pour un an afin de soutenir le développement d’une stratégie nationale pour l’implantation de CJE dans toutes les régions du Québec. Le CJEO a par la suite accueilli des gestionnaires de partout au Québec venus comprendre comment fonctionnait au quotidien le modèle du CJEO et s’en s’inspirer. Tout un défi pour une organisation locale! Mais un défi réussi : au moment d’écrire ces lignes, il existe 110 CJE répartis dans les 17 régions du Québec.

Au plan de la gestion, je suis très fière que la rigueur et l’efficacité du modèle mis en place par le CJEO ait été reconnu en 2014 lorsque le Carrefour s’est vu décerner le Grand prix québécois de la qualité, un prix de renommée internationale. »

Outre cette importance reconnaissance du CJEO, la contribution exceptionnelle et le leadership de Martine Morissette ont été reconnus à de multiples reprises :

  • 2021 : Médaille de l’Assemblée nationale du gouvernement du Québec
  • 2017 : Médaille Gérard Lesage de l’Université du Québec en Outaouais
  • 2009 : Ordre de Gatineau – Grande citoyenne
  • 2007 : Personnalité de l’année « catégorie affaires » – Le Droit/Radio-Canada

L’international dans le parcours de Martine et du CJEO

Martine n’a pas beaucoup voyagé dans sa jeunesse. Avec sa famille, les vacances scolaires se passent en Floride, une tradition familiale pour rassembler tout le monde hors du Grand Nord une fois par année. Martine a aussi voyagé un peu en Europe pour le plaisir.

S’intéresser à l’international pour mieux répondre aux besoins des clientèles immigrantes

Lorsque Martine s’est intéressée à l’international ce fut d’abord pour que le Carrefour soit en mesure de répondre aux besoins des clientèles immigrantes de l’Outaouais.

« Mon premier contact avec l’international en lien avec le développement des jeunes est venu avec le début des interventions du CJEO auprès de clientèles immigrantes par le biais du programme Passeport travail en 1995 qui avait été mis en place pour répondre aux besoins des clientèles immigrantes (nouveaux arrivants, réfugiés). »

1995 : le CJEO est interpellé par CUSO pour partager son expertise avec des organismes jeunesse du Sud

« C’est en 1995 que nous avons été contactés par CUSO qui nous a proposé de participer à des missions de coopération volontaire pour échanger sur notre modèle avec des organismes jeunesse de Bolivie, du Pérou, du Chili et de la Jamaïque. C’est dans ce cadre que j’ai réalisé mes premiers voyages professionnels en appui à des organisations jeunesse du Sud.

C’est dans cette période-là que le CJEO a créé l’Avenue internationale en 2005 [1] avec l’appui d’une étudiante de maîtrise en travail social de l’UQO qui nous a aidé à construire et à documenter le programme. Ce programme était auto-financé à même le budget de fonctionnement du CJEO. »

2005 : Sénégal, le tournant et l’émergence d’une complicité

En 2005, Martine participe à une mission au Sénégal dans le cadre de la Troisième rencontre sur la globalisation de la solidarité du Réseau intercontinental de promotion de l’économie sociale et solidaire (RIPESS). Parmi les membres de la délégation à Dakar, on retrouve d’ailleurs le président et la coordonnatrice du Fonds Solidarité Sud, Louis Favreau et Nathalie McSween, alors respectivement professeur et étudiante de la maîtrise en sciences sociales à l’UQO.

« Cette mission au Sénégal a été un choc culturel qui m’a fait réaliser l’ampleur des besoins au Sud. Ça m’a encore plus convaincue de la nécessité d’appuyer les jeunes et leurs projets en Afrique et en Amérique latine. Quand le Fonds Solidarité Sud a été créé en 2010, le partenariat avec le CJEO s’est donc développé très naturellement. »

Dans l’histoire du Carrefour, 2015 est une année noire

Dans l’histoire du CJEO, 2015 est une année noire. Le financement à la mission dont bénéficiaient le CJEO et les autres CJE depuis 1995 a été abruptement coupé par le gouvernement. Martine a pris la tête du mouvement de contestation qui est monté au front pour défendre le financement à la mission auprès du gouvernement. La lutte a duré 6 ans : le financement à la mission des CJE a finalement été rétabli en 2021.

Le programme Avenue internationale, qui avait dû être mis de côté en 2005 puisque le financement à la mission qui permettait de le soutenir n’était plus au rendez-vous, n’a pas été remis en service. Mais l’engagement du CJEO auprès du Fonds Solidarité Sud est resté et s’est même approfondi

Martine sur le Fonds Solidarité Sud : de grandes similitudes avec le Carrefour

La cohérence est centrale dans la réflexion de Martine. Elle trouve de grandes similitudes entre le Fonds et le CJEO : tant dans les valeurs, que dans les approches et les stratégies.

« Nous sommes nous-mêmes choqués lorsqu’on nous propose de nous financer une année à la fois, alors quand on devient partenaire d’une organisation comme le Fonds Solidarité Sud, on considère que ce qui est bon pour nous l’est aussi pour les autres organisations. Le Carrefour et le FSS se ressemble parce que nous faisons tous les deux des choix de longue durée : on apprend à travailler ensemble, on documente nos apprentissages et on corrige le tir. Nous savons que les approches court terme emprisonnent les organisations et les projets au lieu de faciliter leur développement.

Pour une organisation qui agit localement et le fait dans un contexte où les besoins locaux sont importants (itinérance, pauvreté, etc.), choisir de soutenir aussi des initiatives à l’international ne va pas de soi. Il faut expliquer chaque fois ce choix aux nouvelles personnes qui se joignent à l’équipe. Quand une personne réfugiée arrive au CJEO, il faut pouvoir comprendre pourquoi la personne a laissé son pays, les outils qui lui manquaient, etc.

Nous avons introduit le dîner de solidarité annuel pour que le Fond Solidarité Sud puisse nous présenter ce qu’ils font avec notre don. L’agenda est bloqué pour tout le personnel et les membres du CA pendant ce moment où on se consacre à réfléchir ensemble. Le FSS ne sauvera pas le monde, nous ne sommes pas dans la pensée magique, mais on y travaille grâce à quelques initiatives porteuses de changements.

Au Carrefour, nous souhaitions apporter une contribution durable au développement de communautés du Sud, mais n’avions pas trouvé un véhicule totalement fiable pour le faire. De par sa gestion et son mode de fonctionnement, le Fonds Solidarité Sud nous est apparu comme étant la formule recherchée. La suite n’a fait que confirmer que nous avions trouvé une solution sûre à notre dilemme. »

« Comprendre les rudiments de l’investissement change la donne et c’est ce que j’apprécie du Fonds Solidarité Sud. Quand tu as compris les rudiments de ce que veut dire diversifier les financements, contribuer, développer, c’est magique. Tout ce qu’on peut faire quand on n’a plus peur de l’argent! C’est notre éducation qui a manqué, pas seulement au niveau individuel, mais aussi notre éducation professionnelle dans les universités. C’est bien beau l’aide humanitaire, mais c’est un puit sans fond. Au Sud, l’argent qui vient du Nord vaut vraiment son pesant d’or en comparaison avec les coûts locaux.

Des initiatives qui ont un autre impact comme le FSS, comme des initiatives locales, de proximité : je pense que les réponses sont là. Ce serait utile s’il y avait une récupération de ces initiatives-là à plus large échelle. »

Que fait une femme engagée comme toi une fois à la retraite?

« J’ai été beaucoup sollicitée lorsque j’ai pris ma retraite, pour des mandats philanthropiques, des mandats politiques même, mais j’ai dit non à tout dans les premiers six mois de ma retraite.

J’ai adoré mon travail, mais avec le recul, quand je repense à l’histoire du CJEO sur 35 ans, je me dis que je pouvais bien être fatiguée! Nous étions comme une pieuvre avec plein de tentacules qui travaillait sur plein de projets à la fois.

Ce n’est qu’après deux ans à la retraite que j’ai accepté de m’engager de nouveau après avoir reçu un appel de la préfète de la MRC de la Vallée de la Gatineau, une des MRC les plus pauvres du Québec. La préfète voulait être appuyée pour mener une grande bataille qui ferait bouger le ministère de l’Emploi et de la solidarité sociale quant à l’offre de services de proximité pour l’emploi – qui est très insuffisante – sur le territoire.

J’ai souvent dit dans ma vie professionnelle : « Là où il y a une réelle volonté et une bonne dose de créativité, il y a un chemin! Nous allons rencontrer une opposition farouche, commettre des erreurs et, à l’arraché, nous allons innover. »

Nous avons transformé les statistiques en visages, en témoignages, en vécus – pas des anecdotes, mais de vraies histoires d’intervenants, de clientèles refusées, de clientèles qui n’ont pas accès à des services, des entrepreneurs, etc. Il s’agissait de décrire des situations qui faisaient en sorte que certaines clientèles étaient bloquées, n’avaient pas accès aux services, de dénoncer la situation et d’exiger des solutions. Mon rapport qui avait pour titre Voir et faire autrement a été reçu un peu comme une « bombe », mais il a atteint son objectif puisqu’il a provoqué une réflexion sur les services d’emploi dans la MRC. Je devais terminer mon mandat en décembre, mais je vais continuer avec eux encore un peu puisque la lutte n’est pas terminée. »

Ce que nous retenons du parcours d’engagement de Martine Morissette

Quand Martine s’engage, elle s’engage à fond. Dans son parcours professionnel et d’engagement, si Martine a toujours refusé d’accepter le statu quo, elle l’a toujours fait au nom de la dignité des personnes et de la nécessité d’adapter les services aux besoins des vraies personnes qui en ont besoin. Si nous avons intitulé ce texte Une guerrière bienveillante à la défense de la jeunesse, c’est en raison de ce refus de baisser les bras qui caractérise cette femme d’exception qu’est Martine Morissette. Le parcours de Martine dénote aussi une volonté de s’allier à d’autres qui, comme elle, sont prêts à sortir de leur confort pour non seulement refuser et dénoncer le statu quo, mais aussi proposer et développer des alternatives concrètes.

Martine a toujours le souci d’agir localement, d’offrir des services branchés sur les besoins concrets des jeunes desservis. Mais elle a su s’allier à d’autres pour que l’expérience locale en inspire d’autres et a travaillé directement à ce que les innovations locales mises en place puissent être étendues à d’autres régions et même à d’autres pays. Elle n’a jamais eu peur de se battre, de sortir des zones de confort, de vouloir plus.

Martine dit avoir un défaut, celle d’être toujours pressée. Mais son parcours démontre aussi qu’elle ne lâche pas facilement le morceau. Nous pourrions donc dire de Martine qu’elle est « pressée longtemps » !

Entrevue réalisée par Nathalie McSween et Louis Favreau,
respectivement coordonnatrice et président du Fonds Solidarité Sud

 

[1] Avenue internationale était un programme d’accompagnement structuré qui permettait à des jeunes adultes d’effectuer une expérience à l’étranger (travail, bénévolat, études, séjour d’immersion linguistique).