Jonathan Boudreau lors du Rendez-vous annuel du Fonds Solidarité Sud 2023

Ce qu’il faut savoir

  • Jonathan Boudreau est spécialiste des systèmes agroforestiers et de la géomatique. Il est actif dans le domaine de la solidarité internationale depuis 16 ans. D’abord gestionnaire de projet au sein de la Financière agricole du Québec – Développement International, il s’est joint à l’équipe de SOCODEVI en tant que chargé de programme lorsque cette organisation a été intégrée à SOCODEVI en 2018.
  • SOCODEVI a été créée en 1985 par des entreprises coopératives et mutualistes québécoises qui se sont unies pour fonder une organisation qui leur permettrait de partager leur expérience et leur expertise auprès d’organisations des pays du Sud dans leurs activités de développement.
  • SOCODEVI travaille depuis trois ans sur un projet de gestion intégré des risques en lien avec des groupes de femmes à vocation agricole de quatre régions de la Casamance. Le projet vise à accroitre l’offre d’assurance agricole pour ces femmes et à améliorer « l’assurabilité » des femmes en améliorant leurs pratiques en amont.
  • Le projet Résilience est d’une durée de 5 ans est soutenu par Affaires mondiales Canada, ainsi que par les fonds propres de SOCODEVI, de son membre Beneva et du Fonds Solidarité Sud.
  • Le Fonds s’est engagé à appuyer le projet Résilience pour un montant de 30 000$ sur trois ans (2022-2024). La contribution du Fonds sert plus particulièrement au développement d’un guide sur les bonnes pratiques agricoles développé en concertation avec les groupes sur place afin de réduire les risques en amont.

Jonathan Boudreau raconte

Jonathan Boudreau présente le projet Résilience qui vise à renforcer l’offre d’assurances agricoles pour les femmes dans la région de la Casamance au Sénégal.

Ce projet est réalisé avec des groupements de femmes dont on veut favoriser le développement des connaissances et des compétences en ce qui concerne la production agricole et améliorer leur accès et leur usage du crédit. Ce projet d’une durée de 5 ans (2021-2026) est réalisé dans le sud du Sénégal (régions de Ziguinchor, Sédhiou, Kolda et Tambacounda). Il bénéficie d’un budget de 10,3 millions $ dont 95% provient de financements publics (Affaires mondiales Canada) et 5% de fonds propres (SOCODEVI et ses partenaires, Beneva et le Fonds Solidarité Sud).

Au Sénégal, le projet est réalisé en collaboration avec deux grands partenaires : 1) la Compagnie nationale d’assurances agricoles, une structure para-étatique unique en son genre en Afrique de l’Ouest, par le biais de laquelle SOCODEVI travaille à augmenter l’offre d’assurances; 2) l’Organisation pour la formation et l’appui au développement (OFAD) intervenant déjà auprès de groupes de femmes dans la région de Kolda.

L’approche intégrée de gestion des risques de SOCODEVI

Les risques sont nombreux dans l’activité agricole. Ces risques se présentent de diverses façons et affectent plusieurs dimensions de l’activité des femmes et des hommes qui vivent de l’agriculture. La gestion des risques requiert donc une approche intégrée, couvrant les différents risques, en commençant par les risques les plus fréquents ou les plus sévères.

  1. Risques liés à la production (baisse de revenu suite aux changements climatiques, pluviométries, sécheresses, chaleurs, tempêtes);
  2. Risques humains (problèmes vécus par les personnes qui pratiquent l’activité agricole);
  3. Risques financiers (crédit, gestion) ;
  4. Risque de marché (ex. inflation provoquée sur le prix des intrants par la décision de la Russie de réduire les livraisons de céréales);
  5. Risques politiques (incertitude concernant les subventions et les appuis à l’agriculture).

 Ces risques sont interreliés. SOCODEVI met l’accent sur les risques où nous pouvons avoir le plus d’impact. L’assurance agricole, particulièrement l’assurance-récolte, protège à plusieurs niveaux :

  • contre les risques de production qui entraînent des baisses de revenus et rendent les producteurs.trices plus craintifs face à  leurs capacités et un éventuel endettement;
  • contre les effets des changements climatiques (risques systémiques), qui entraînent une augmentation de la fréquence et sévérité de phénomènes considérés jusqu’ici comme extrêmes;
  • contre les réactions défensives des institutions financières et acteurs des chaînes de valeur agricoles face à ces risques systémiques.

Dans le cadre de ce projet, pour mieux orienter nos actions, nous avons cherché à dégager les leçons apprise d’initiatives antérieures par le biais de consultations avec notre partenaire sénégalais et auprès de groupes de femmes. Les constats que nous avons fait sont que les assurances sont peu connues des productrices et sont loin de leurs préoccupations, celles-ci étant davantage préoccupées de répondre à leurs besoins en équipements, en fertilisants et en semences de qualité afin d’augmenter le rendement de leur production. Les femmes ont conscience des risques et de leur impact, mais n’ont pas les moyens pour y faire face. Par conséquence, nous avons convenu que nous devions faire des efforts de vulgarisation et de formation afin que les coopératives locales fassent la promotion de la gestion intégrée des risques agricoles et en encadrent la pratique.

Il est à noter par ailleurs que le coût des primes peut aussi représenter un frein majeur au déploiement de l’assurance agricole, mais que le modèle du Sénégal permet de l’atténuer en le subventionnant à 50%.

Projet Résilience : des actions pour compléter la chaîne

La chaîne esquissée est pour le moment incomplète, et nous travaillons dans ce projet à la compléter, à faire tomber les obstacles qui nuisent à l’autonomisation des femmes dans les groupements agricoles. Dans chaque village, on trouve des groupements de femmes qui agissent sur le plan de l’entraide et souvent aussi sur le terrain économique, mais qui sont toutefois informels, ce qui limite leur capacité d’action. La première démarche est donc de s’assurer que ces groupes soient reconnus légalement.

Aussi, dans les villages, il faut vaincre les obstacles à la réceptivité face à l’autonomisation des femmes, qui ne va pas de soi dans la culture et la pratique locale. Nous avons pour cela mis en place un programme de causeries communautaires qui permet d’aborder cet enjeu. Les discussions y sont parfois corsées, mais permettent au final d’ouvrir la voie à plus de reconnaissance de la place des femmes.

Nous travaillons aussi au développement des connaissances et compétences des femmes en production agricole et en utilisation des services financiers. Parallèlement, il faut aussi s’assurer que les coopératives aient une offre de services adaptés et donc sensibiliser les institutions financières et les fournisseurs d’intrants aux besoins et aux conditions de production des groupes de femmes.

En somme, le projet vise à créer un écosystème autour des groupes de femmes à vocation agricole : le réseau des intervenants externes (institutions financières, fournisseurs d’intrants et de services techniques); la coopérative locale; la Compagnie nationale de l’assurance agricole et; l’encadrement de l’État. Pour nous, la finance solidaire c’est d’amener tous ces acteurs terrain à ne pas voir uniquement le déploiement de l’assurance agricole, mais de l’agriculture comme système général.

L’assurance agricole n’est pas une fin en soi, mais bien un outil favorisant l’autonomisation des femmes. Si on peut mieux assumer la gestion des risques, elle devient moins nécessaire. Pour ce faire, on développe d’autres actions qui permettent de travailler en amont et contribuent à de meilleures pratiques en gestion des risques.

Un guide sur les bonnes pratiques agricoles

Grâce à la contribution financière du Fonds Solidarité Sud, qui s’est engagé avec nous sur 3 ans (2022-2024) pour un montant de 30 000$, nous avons travaillé au développement d’un guide sur les bonnes pratiques agricoles afin de procurer aux productrices des outils leur permettant d’adopter des pratiques climato-intelligentes, donc de s’adapter aux changements climatiques et d’ainsi favoriser la préservation de l’environnement. Ce guide a été développé à la suite de plusieurs consultations et concertations avec des groupes locaux de femmes et des organisations impliquées, dont les institutions financières, afin d’en faire un outil où on retrouve des pratiques reconnues et valorisées dans la chaîne. Présentement, plusieurs tables de concertation sont en action, ce qui rejoint notre souci de vulgarisation et formation, et nous aide à développer des guides illustrés qu’on pourra distribuer et ainsi promouvoir des techniques de plantation et fertilisation plus écologiques.

Nous avons aussi développé des formations en éducation financière. Il s’agit d’un programme de quatre sessions dispensées par le personnel de 23 coopératives partenaires du projet Résilience. Ces formations portent sur des thèmes qui s’enchaînent : gestion des liquidités et de l’épargne; revenus et dépenses; financement; gestion de l’activité génératrice de revenus. Nous utilisons du matériel et des approches de formation adaptées aux conditions des femmes participantes, qui pour la plupart ont peu de capacités en lecture et écriture. Les formations en éducation financière sont réalisées avec les leaders des coopératives, qui peuvent alors agir comme intermédiaires pour les femmes pour faciliter leur accès au financement agricole dans les différents aspects et étapes de la préparation d’un projet. La participation des institutions financières aux rencontres sur les itinéraires techniques de production, mettant en valeur les bonnes pratiques agricoles, leur a aussi permis un rapprochement et une meilleure compréhension des besoins et des capacités des groupements de femmes, dont l’assurance agricole qui fait partie des mécanismes de crédit accessibles.

Un fonds levier pour l’achat de petits équipements a aussi mis en place avec l’appui d’un de nos membres, la mutuelle d’assurance Beneva, dans le cadre du projet Résilience.

projet Résilience :

Cibles (2021-2026)

  • 150 groupements de femmes à vocation agricole formalisés et appuyés;
  • 7 000 femmes appuyées et formées sur les services financiers, dont les assurances agricoles;
  • 30 coopératives et institutions de microfinance offrant des produits et services à ces groupes;
  • 100 000 producteurs-trices ultimement protégés par l’assurance agricole.

Résultats à la mi-temps (2023)

  • 92 groupements féminins enregistrés légalement;
  • Partenariats en cours avec 23 coopératives;
  • 4 144 femmes touchées par le programme d’éducation financière;
  • 28 833 producteurs et productrices protégés par l’assurance agricole;
  • Des cadres de concertation sur les itinéraires techniques de production ont été mis en place dans les quatre régions du projet.

Pour en savoir plus

Visionnez l’enregistrement de la présentation de Jonathan Boudreau lors du Rendez-vous du 21 septembre 2023 Visionner