Nathalie McSween, coordonnatrice du FSS et chargée de programmes UPA DI

Nous sommes en 2022 et donc tous un peu témoins involontaires des ravages de la guerre en Ukraine. Pour ma part, j’ai été aussi témoin involontaire de la guerre du Kosovo il y a de cela 22 ans. J’étais alors coopérante en Albanie, un pays où, en l’espace de quelques semaines seulement, près de 500 000 personnes ont traversé la frontière pour se réfugier pendant la guerre. C’était un chaos monumental et indescriptible. Imaginez ma réaction lorsque j’ai entendu que 6 millions de personnes réfugiées fuyaient la guerre en Ukraine… Lorsque je pense à l’impact de la guerre et des crises humanitaires sur les populations “ordinaires”, je me sens indignée, furieuse et surtout, impuissante. La réponse humanitaire internationale pendant de telles crises est évidemment importante et demeure nécessaire après la crise, lorsqu’il s’agit de reconstruire.

Reconstruire des bâtiments n’est pas suffisant cependant. Les sociétés, au Nord comme au Sud, sont constituées d’individus, d’organisations et d’institutions qui structurent la vie sociale et économique. La résilience des communautés – la capacité de s’adapter pour faire face aux défis qui se présentent – dépend grandement des organisations et des institutions qui les structurent.

Et c’est justement de la question de la résilience des communautés dont j’aimerais vous entretenir, non pas pour vous parler de l’Ukraine ou du Kosovo, mais pour vous parler des pays du Sud avec lesquels le Fonds Solidarité Sud et ses partenaires travaillent. Pourquoi? Parce que la coopération internationale québécoise est à la croisée des chemins.

Elle est à la croisée des chemins d’une part, parce que les modes traditionnelles de coopération sont remises en question – avec raison – par les critiques du néocolonialisme. Pour être décoloniale, la coopération internationale doit s’inscrire dans une logique de réelle solidarité entre des mouvements et des organisations sœurs.

Elle est à la croisée des chemins d’autre part, parce que la coopération internationale d’hier ne répond ni aux défis d’aujourd’hui, ni à ceux qui s’annoncent dans un avenir rapproché. Alors que la coopération internationale du Québec a été jusqu’ici surtout centrée sur le développement social et communautaire, les grands défis de notre époque sont plutôt des enjeux d’ordre économique et écologique (rupture de chaînes d’approvisionnement, appauvrissement des sols, inondations, sécheresses, etc.). Ces nouveaux défis interpellent grandement la capacité d’adaptation des communautés.

Quelles sont les mouvements et les organisations du Sud qui renforcent la résilience des communautés? En observant la réalité à partir de la perspective des acteurs et des actrices économiques ancré.e.s dans un territoire (des familles agricoles du Sénégal, par exemple), que verrions-nous? Nous verrions des communautés rurales où l’agriculture familiale constitue le pilier de l’économie locale et où les échanges économiques sont structurés par des organisations paysannes locales qui prennent la forme, par exemple, de coopératives et de mutuelles. Nous verrions par ailleurs que ces organisations paysannes locales sont organisées en unions ou fédérations régionales qui offrent des services à leurs membres (achat groupé d’intrants, mise en marché collective, etc.). En offrant des services économiques à leurs membres, ces organisations se situent dans la sphère de l’économie sociale et solidaire. Nous verrions enfin que ces unions et fédérations paysannes sont membres d’une plateforme paysanne organisée à l’échelle nationale qui elle-même est devenue au fil des ans un interlocuteur privilégié de l’État sénégalais en ce qui concerne les politiques agricoles. Le monde paysan sénégalais manque de moyens, certes, mais il est structuré à tous les niveaux par des organisations qui soutiennent les familles agricoles.

Pour répondre aux nouveaux défis rencontrés par les communautés du Sud et le faire dans une approche de réelle solidarité, la nouvelle solidarité internationale du Québec doit suivre le chemin de l’appui aux mouvements et aux organisations du Sud qui renforcent la résilience des communautés.

La nouvelle solidarité internationale prônée par le Fonds Solidarité Sud et ses partenaires québécois (UPA DI, SOCODEVI, la Caisse d’économie solidaire du Québec, le FISIQ) est une solidarité qui mise sur des échanges entre les organisations économiques et politiques que se sont données les familles agricoles du Sud et les organisations qui ont structuré et structurent l’économie sociale et solidaire du Québec dans tous les domaines qui constituent les leviers de développement des communautés (accès à l’énergie, au crédit, aux intrants, aux marchés).

Les moyens de cette nouvelle solidarité internationale sont encore modestes, surtout si on les compare aux moyens considérables dont disposent les OCI qui interviennent dans le domaine de l’aide humanitaire. Nous avons encore du travail à faire pour faire valoir l’impact décuplé de cette solidarité internationale qui renforce les organisations et les mouvements.

Ne nous laissons pas distraire: continuons à marteler que c’est dans la sphère de l’économie sociale et solidaire que se construit la résilience des communautés face aux nouveaux défis de développement qui pointent à l’horizon.

Nathalie McSween
26 mai 2022