Hommage à Yves La Neuville

Yves La Neuville a été un des grands architectes du Fonds Solidarité Sud. Il nous a quitté dans la nuit de lundi à mardi des 6 et 7 novembre dernier. Beaucoup d’entre nous l’ont connu au Fonds Solidarité Sud, particulièrement dans son rôle d’animateur de l’équipe la Rive-Sud de Montréal du Fonds, et/ou dans d’autres lieux d’engagement social avant même la création du Fonds : à la CSN où il a longtemps été conseiller syndical, au Centre de formation populaire (CFP), au Comité de solidarité Québec Chili, etc. Il était parmi nos pionniers, nos membres de la première heure. Sa vision des gens et du partage était inestimable. Il continuera, à coup sûr, de nous inspirer ! 

J’ai connu le Fonds de Solidarité Sud lors d’une rencontre au chalet de Gérald Larose au lac Montjoie. J’ai tout de suite compris que ça m’intéressait. C’était la suite des engagements de mes années au Chili et du travail de solidarité internationale à mon retour au Québec en 1974. Au Chili des milliers de familles ont occupé des terrains abandonnés et exigé du gouvernement d’installer les infrastructures, l’eau, les toilettes et l’électricité. Grâce à la solidarité et l’organisation ces problèmes vitaux ont été solutionnés. Malheureusement le gouvernement Allende (élu en 1970) a été renversé par un coup d’État militaire trois ans plus tard. Les militaires se sont pointés pour redonner l’usine à l’ancien patron. Ma compagne Jeannette Pomerleau et moi avons alors dû nous réfugier à l’ambassade canadienne… pour revenir au pays.

50 ANS DE ROUTE AVEC L’AMI YVO LA NEUVILLE

En avril 1972, nous avons fait une mission de deux semaines au Chili. Nous étions quatre Québécois soutenus par le Réseau des politisés chrétiens et le Centre de formation populaire. Notre bande des 4 comprenait Karl Lévêque, Louis Favreau, Pierre Lagrenade et moi. C’est dans ce cadre que nous avons fréquenté du matin au soir, Yvo La Neuville, Chago Boivin, et d’autres Québécois et Québécoises engagés du côté de l’Unité populaire et du président Allende. Notre séjour s’est déroulé en deux parties.

Pendant les cinq premiers jours, nous avons participé au Congrès latino-américain des Chrétiens pour le socialisme, avec 400 participants chiliens et latinos. La délégation québécoise était la seule non-latino. On travaillait en ateliers le matin et en plénière l’après-midi. Le 3e jour, on a eu une rencontre mémorable avec le président du pays Salvador Allende, à La Moneda. On a constaté qu’Ivo était aimé et respecté dans les milieux de gauche. Tout le monde le connaissait. Il participait à la direction de Pastoral Popular, une revue inspirée de la théologie de la libération.

Pendant la deuxième semaine, Yvo a été le sherpa qui nous a guidés dans une enquête-terrain qui nous a mis d’entrer en contact :

• Avec des organismes de capacitation popular qui utilisaient la méthode d’alphabétisation de Paulo Freire ou les Cuadernos d’educacion popular de Marta Harnecker
• Avec des travailleurs d’entreprises coopératives comme Cootralaco
• Avec des personnes qui militaient dans des quartiers populaires en apportant des réponses concrètes à des problèmes d’alimentation, de logement, de santé
• Avec des personnes qui appartenaient à une diversité de tendances et d’organisations politiques de la gauche à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Unité populaire, coalition progressiste ayant pris le pouvoir en septembre 1970

À l’été 1972, j’ai reçu un carton d’invitation pour participer, au mariage d’Yvo et de Jeannette, à Santiago. Le coquin, il nous avait caché cela ! Un mois après le Coup d’État, Yvo et Jeannette sont rentrés au Québec. Puis, nos routes se sont croisées constamment.

Un mois après le Coup d’État, en octobre 1973, Yvo et Jeannette sont rentrés au Québec dans la précipitation. Au fil des 5 dernières décennies, je n’ai jamais cessé de militer à ses côtés et de l’apprécier dans une grande diversité de lieux comme :

• Les réseaux de chrétiens de gauche
• Les groupes de solidarité internationale comme le Comité Québec-Chili et Solidarité Québec-Amérique latine
• Le Regroupement pour le socialisme;
• Le Conseil central de la CSN à Montréal;
• Le Centre de formation populaire;
• Le Fonds Solidarité-Sud (FSS), une organisation qui est peut-être moins connue parmi vous, mais dans laquelle, au cours des 14 dernières années, ce cher Yvo en a été un des pionniers et un militant infatigable qui a recruté un grand nombre de sympathisants et donateurs du côté de la CSN. Ce fonds de développement, financé par les dons de quelques centaines de personnes, se démarque des organismes humanitaires en pratiquant un modèle de coopération égalitaire et réciprocitaire entre des organisations du Nord et du Sud en matière de développement économique. Il le fait en soutenant des initiatives de développement économique local et des projets d’économie sociale et solidaire (notamment des services énergétiques et des services d’accès au crédit dans lesquels ce sont les groupes du Sud qui ont la main sur le volant. Les projets utilisent souvent le modèle des prêts « patients » à moyen terme pour des périodes de 4-5 ans et de l’accompagnement

Dans tous ces lieux et ces moments, combien de fois j’ai observé Yvo, toujours empressé d’intervenir auprès de nouveaux militants et militantes intimidés, pour les encourager à aller au micro et à prendre la parole dans des activités publiques.

Un mot sur Yvo et les intellectuels. C’est vrai, Yvo pouvait parfois être rude et exigeant avec les intellectuels. Il semblait avoir un côté anti-intellectuel. Cependant, je pense qu’il valorisait les intellectuels et le travail intellectuel. D’abord, Yvo était lui-même un grand lecteur. Il lui arrivait de nous suggérer fortement des lectures qu’il considérait incontournables comme ce fameux livre de Domitila, une militante bolivienne dont il ne se fatiguait pas de faire la promotion. D’autre part, dans mes recherches et mes écritures, je l’ai souvent « exploité » en lui demandant de lire certains textes et de me donner son opinion. À ma surprise, il me revenait vite avec des commentaires pertinents. L’automne dernier, lorsque sa santé déclinait, avec la complicité de Jeannette, on a eu une dizaine de rendez-vous téléphoniques.

La fidélité et la générosité d’Yvo, dans l’amitié, ont été expérimentées par plusieurs parmi nous dans les hauts et les bas de nos vies quotidiennes. Je pense à son empathie et à son soutien lorsque ses proches et de ses voisins et voisines ont été touchés par des problèmes de santé. Son empressement à manifester des tas de petites attentions concrètes, dans ces moments délicats, ont souvent dépassé l’ordinaire. Personnellement, en tant que proche aidant depuis près d’une quinzaine d’années, j’en ai souvent profité et Judith aussi. Je sais que je ne suis pas le seul.

En conclusion. J’ai commencé mon témoignage en soulignant que la question du christianisme social était au cœur de notre première rencontre à Santiago, il y a plus de 50 ans. J’ajoute que, 50 ans plus tard, elle demeure une source d’inspiration importante, même si sa mise en œuvre emprunte des formes différentes.

par Yves Vaillancourt,
3 décembre 2023 à la coopérative funéraire
du Grand Montréal à Saint-Hubert

Extraits de l’hommage à Yves La Neuville

…Dans son militantisme au Conseil Central de Montréal et à la CSN, ce qui caractérisait Yvo était l’amplitude du projet qu’il portait. La solidarité internationale faisait partie de son « arsenal ».

Plus encore, c’était son approche auprès des syndiqués. Hommes ou femmes. Il investissait dans l’intelligence des personnes, dans leurs capacités à se révéler à elles-mêmes, à prendre conscience qu’elles avaient des potentialités, qu’elles étaient capables d’aller au micro, de proposer leurs points de vue, de participer à la construction de la proposition commune, d’être partie prenante du projet collectif qui se dessinait devant elles et d’être en retour des acteurs de la mobilisation à faire dans leurs propres milieux.

Systématiquement Yvo ciblait les syndicats du secteur privé. Il avait l’habitude de dire que dans ses conventions collectives le secteur public jouissait de conditions plus facilitantes à la participation aux instances syndicales que n’en avait pas le secteur privé. C’est ainsi qu’il a dépisté de nombreuses perles qu’il a accompagnées suivant sa méthode. Alors nos instances et nos comités ont toujours été peuplés de beaux militants et de belles militantes du secteur privé qui participaient à fond au débat et aux orientations de notre organisation. C’était sa signature.

…Yvo est encore là. Il laisse en héritage toutes ces personnes qui ont grandi dans son sillage et qui, elles-mêmes, poursuivent son action. Au premier chef, sa fille Marisol, par ses engagement comme conseillère syndicale à la CSN.

…Merci à Jeannette de nous l’avoir prêté si longtemps. Merci à la famille qui en ont aussi été parfois privé. Soyez fiers de ce qu’il nous laisse. Sa présence continue. Son action se poursuit.

par Gérald Larose,
le 3 décembre 2023 à la coopérative funéraire
du Grand Montréal à Saint-Hubert