Bas-Saint-Laurent, Abitibi, Montréal, Sherbrooke, crochet au Mali: voici le parcours que nous allons franchir avec Clément Mercier, militant de longue date au Fonds Solidarité Sud. À chacune de ces étapes, une constante: l’engagement communautaire.

Le milieu familial

Né dans une famille de six enfants, à Saint-Omer de l’Islet au sud de Saint-Jean-Port-Joli, dans un milieu forestier et agricole, Clément Mercier évoque l’époque de la colonisation et de ses terres de roches: « Les lots étaient prêtés aux colons, on en devenait propriétaire si on en avait défriché et cultivé au moins le tiers. Mon père est décédé à 57 ans, son projet d’agriculture a été bref, mais comme mes parents avaient vécu la crise de 1929, avoir un lot, un jardin, quelques animaux, nous mettait à l’abri de la misère. Ce que j’ai toujours retenu de ma famille c’est qu’il faut se battre pour obtenir ce que l’on veut! »

Le collège classique

À 12 ans, Clément se retrouve au collège classique de La Pocatière grâce à une bourse de l’Œuvre des vocations, ce qui aurait dû le destiner à devenir un bon curé. C’est déjà l’engagement à travers la Jeunesse étudiante catholique (JEC), important mouvement dans le Québec catholique de l’époque avec ses principes « voir, juger, agir », « nous y avions ajouté « évaluer » » dit Clément. Agir à partir d’une analyse de la réalité dans une perspective de transformation de la société. La JEC s’inspire du philosophe Emmanuel Mounier, instigateur du mouvement du personnalisme qu’on qualifie de généreuse synthèse des thèmes révolutionnaires non marxistes des années ’30. « Par mon engagement dans la JEC et la découverte du personnalisme, j’entrevois une perspective que ne me donnaient pas mes cours au collège. Ça été une source d’inspiration pour envisager l ‘action collective, le rôle du citoyen dans la cité, la responsabilité de chacun pour changer les choses. »

Travail social au service de l’organisation communautaire

Les études en travail social jusqu’à la maitrise seront l’occasion d’affirmer ce choix. « Le travail social pour moi c’était suivre un filon en vue de l’action collective. J’ai hésité entre travail social, économie et sociologie.  À l’Université Laval, j’ai puisé dans ces trois disciplines, mais le travail social était la ligne directrice pour m’outiller en intervention et organisation communautaire. Je me suis toujours défini comme un organisateur communautaire. »

Sur le terrain dans le Bas-Saint-Laurent

Maîtrise en poche, début professionnel à Rimouski, espérant travailler à la mise en œuvre du plan d’aménagement proposé par le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), qui reste lettre morte. Le BAEQ avait été chargé de formuler une proposition d’aménagement du territoire afin d’atténuer les inégalités sociales et économiques au Bas-Saint-Laurent, Gaspésie et Iles-de-la-Madeleine dans les années 1960 et 1970.

« Je me retrouve donc en 1966 à 23 ans, engagé par le Conseil des Œuvres de Rimouski chargé d’organiser une grande campagne de financement à la grandeur du diocèse, un conseil d’administration de 22 personnes m’entoure. »  Le Conseil des Œuvres relève du diocèse, on est encore à l’époque où l’Église dirige le social.

Recherche et animation pour le développement des communautés

« Moins d’un an plus tard, je deviens directeur du Bureau du service social à Mont-Joli et ensuite responsable d’un volet de développement communautaire appuyant la création de groupes comme l’ACEF, l’aide aux chômeurs. C’est là que j’ai commencé à mêler recherche et animation en vue du développement communautaire. En 1968, j’avais le choix de travailler à l’Office de planification et de développement du Québec à Québec ou sur la Côte-Nord. Mon épouse vient de Val d’Or et avait envie d’y retourner trouvant la l’intégration au Bas-du-Fleuve difficile. On décide de partir en Abitibi. »

Les années 1970:  l’Abitibi et l’animation sociale

« On m’y offrait un travail comme directeur des services professionnels au Service social de l’Ouest québécois lié au ministère de la Famille et du Bien-être pour développer le secteur de l’animation. À partir d’Amos, on couvrait de Ville-Marie à Chibougamau, un sacré territoire! On est à l’époque où l’animation sociale est le courant auquel on se référait.  Louis Favreau, Michel Blondin étaient actifs à Montréal dans ce mouvement. Il y avait la Commission Castonguay qui proposait qu’on réforme nos pratiques pour être plus ancrés sur le développement des communautés dans une approche globale et intégrée, ce à quoi je croyais, le cadre de référence dans lequel je voulais situer ma pratique.

« Le modèles des cliniques communautaires dans les quartiers de Pointe Saint-Charles, Saint-Henri, nous inspirait et on voulait se servir de ces expériences en Abitibi pour créer un CLSC. Je travaillais en mode gestion de programme avec les gens des commissions scolaires, des hôpitaux, les travailleurs sociaux, en animant toutes ces personnes dispersées dans divers établissements pour les amener vers une vision commune et un travail en collaboration. »

L’UQAT et les études en sociologie

En 1976, après la création de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : « je deviens professeur en travail social avec l’engagement de retourner aux études pour compléter un doctorat, ce que je fais en 1978, grâce à une bourse d’études.  Toute la famille part vers Montréal. Aux HEC d’abord, en gestion sociale où j’espérais trouver des outils pour explorer mon projet sur ¨la gestion de l’autogestion ». Après une année, je me suis rendu compte que je ne les trouverais pas et je me suis dirigé vers le département de sociologie de l’Université de Montréal. J’ai découvert la sociologie des mouvements sociaux à travers le sociologue français Alain Touraine, mon maître à penser au plan théorique. Intellectuellement c’était très enrichissant mais j’avais toujours le souci d’appliquer concrètement ces connaissances sur le terrain. J’étais d’ailleurs entouré de gens orientés vers la pratique, le changement social dont Marcel Rioux et Gabriel Gagnon, mon directeur de thèse.  Les ¨pratiques émancipatoires¨ constituaient le cœur de leurs recherches. Une partie de ma thèse s’en inspire. Du côté des HEC j’avais gardé contact avec un institut de recherche sur les coopératives. »


Professeur à l’UQAT et appui aux organisations du milieu

Comme professeur en travail social à l’UQAT de 1981 à 1991 « je donne les cours de sociologie, de méthodologie, d’organisation communautaire ce qui me permettait de m’impliquer auprès des groupes du milieu notamment auprès des clubs coopératifs de consommation sur lesquels portait ma thèse de doctorat. À Amos, j’avais collaboré à leur fondation et j’étais président du club à Rouyn. »

Enseignement et engagement

À savoir comment le professeur universitaire et l’organisateur communautaire cohabitaient : « J’ai toujours eu le souci de garder une distance critique, je ne me suis jamais défini comme ¨militant de première ligne », mais comme appui, consultant, j’avais mes convictions bien sûr, mais aussi le souci de rester dans un rôle d’accompagnement et d’analyse du sens de l’action et des modes de pratique. Je trouvais une heureuse combinaison entre la recherche, l’enseignement, l’organisation communautaire. On était appelé à soutenir la réflexion et l’action selon les situations locales. Le mouvement social en Abitibi était en effervescence, entre autres à travers les coopératives dont celle de Guyenne où se trouvait mon mentor, Roger Guy, c’était un des premiers grands projets pour le développement intégré ¨laissez- nous nos ressources! », on découvre la réalité des paroisses marginales, des communautés autochtones, dont celle du Lac Simon où des profs allaient en appui.  Je disais aux gens du Lac Simon, la réalité que vous vivez et sur laquelle vous voulez agir, je m’y retrouve tellement sur le plan personnel : celle d’un ti-cul qui a grandi sur une terre de colon et qui voulait que les ressources servent aux gens de la communauté. »

Bilan et constats

Une année sabbatique en 1990 et un constat s’impose. « J’avais l’impression que j’étais à bout d’énergie, que je n’avais plus de ressources à apporter. Je réalise aussi qu’après un cycle de 8 à10 ans et j’ai besoin de passer à autre chose. Il y avait aussi l’air ambiant:  dans les discussions sur l’orientation des services de santé, je disais arrêtons de toujours miser sur les docteurs alors qu’on avait des problèmes à les recruter. On a des infirmières de colonie qui étaient les « docteurs du quotidien » pourquoi ne pas miser sur cette force. Je sentais de l’opposition, peu d’écoute. Au niveau des coop on entrait dans une phase d’institutionnalisation, réductrice selon moi, dont on voit aujourd’hui le résultat par exemple avec les caisses populaires…on ne sait plus que c’était un mouvement coopératif. Je voyais ce glissement et je ne me sentais plus mobilisé. »

L’ancrage à Sherbrooke

« Comme j’étais coordonnateur du Regroupement des unités de formation en travail social, j’avais des contacts à Sherbrooke et leur programme en travail social m’intéressait. J’y ai été professeur et directeur de département de1991 à 2004.  Ensuite en retraite graduelle à mi-temps, disponible pour l’enseignement et l’encadrement des stagiaires. »

Une retraite active

« La retraite ce n’était pas choisir de rien faire, mais me donner la liberté de choisir. J’ai poursuivi mes engagements dans la communauté, entre autres avec la Corporation de développement communautaire (CDC) dont j’ai été président. J’ai participé activement à une organisation communautaire en santé mentale pendant de nombreuses années.  J’ai travaillé à la coordination du regroupement des unités en travail social.

La découverte de l’international: le Mali

C’est à travers des interventions au Mali que le déclic se produit. Un projet de développement des compétences financé par l’ACDI est mis en œuvre avec les coopératives, le Carrefour de solidarité internationale, le Département de service social. « Je remplace un professeur en organisation communautaire. Je me retrouve au Mali, en janvier 2005 et encore quelques mois plus tard, pour former des agents terrain qui interviennent au niveau des organisations paysannes. Je découvre le vrai terrain, je revivais ce que j’avais vécu avec mes parents: on n’avait rien, mais comparé avec cette réalité, je voyais la différence entre ces riens! Je découvre des personnes extraordinaires, une joie de vivre, des organisations de base dynamiques.

« Grâce à ces deux séjours au Mali, j’ai réalisé que l’accompagnement au développement des communautés du Sud, c’était non seulement souhaitable mais essentiel. Ces communautés sont profondément impactées par les enjeux que nous visons ici mais avec des conséquences beaucoup plus graves, les changements climatiques par exemple.  Je me dis il faut agir. Mon côté organisateur communautaire et mes convictions sont secoués. »

Le Fonds Solidarité Sud

« Je connaissais Louis Favreau, il me contacte pour que je développe une équipe à Sherbrooke en 2009-2010.  Je ne suis pas sûr qu’on avait une vision claire de ce qu’était et serait le Fonds, mais il y avait déjà une vision différente de l’aide humanitaire nécessaire mais insuffisante si elle n’est pas située dans une perspective de développement des communautés. Mon expérience au Mali était dans cette perspective et je me retrouvais bien au Fonds.

« On a recruté quelques personnes, pour informer, mobiliser et rapidement pour contribuer financièrement au Club des 100. On se disait, il faut de l’argent, on peut toujours sensibiliser, mais d’autres le font, il faut mobiliser pour pouvoir agir.

L’expansion de notre groupe local est venue du rapprochement avec l’Université du 3e âge qui a permis de nouvelles adhésions. On a aussi pu diversifier les contacts dans plusieurs réseaux, syndicats, coopératives, UPA. Aujourd’hui il y a une relève, pas juste des personnes de 80 ans, on a des sexagénaires et d’autres bien plus jeunes. Les rencontres régionales ont été des éléments importants dans notre apport à la vie du FSS.

Pourquoi pas nous…se pérenniser

 « Au début, lorsqu’on me parlait de financer le Fonds en souscrivant à une police d’assurance, je disais, c’est trop loin, trop gros. Je me suis questionné, en ai discuté avec mon épouse : pourquoi pas nous?  Est-ce que nos enfants ont besoin de ça, quelle différence pour eux? La réponse était claire. Par ce geste, je contribue à la pérennité du Fonds et à ma propre pérennité!  Quand je ne serai plus là j’aurai contribué à la cagnotte qui va servir aux générations futures et soutenu l’approche du développement des communautés à laquelle j’ai toujours cru. »

L’évolution du Fonds Solidarité Sud

« Je trouve que le Fonds est sur un air d’aller extraordinaire. Je suis content de l’avoir vu naître et, non pas se transformer, mais prendre forme de manière beaucoup plus consistante, s’ancrer, se donner une capacité d’action qu’on n’avait pas entre autres par la finance solidaire et le Fonds d’investissement solidaire international du Québec (FISIQ). »

La corde sensible de l’indignation…toujours présente

Toujours engagé localement, Clément a récemment mené la bataille à côté des 250 locataires retraités mobilisés pour sauvegarder leur habitation à loyer abordable, le faubourg Mena’Sen. Cause qui vient d’ailleurs de connaitre un dénouement positif en Cour supérieure. Cette bataille, importante localement, a aussi permis de clarifier des règles de droit qui encadrent les OBNL. Difficile de croire que ce sera la dernière bataille dans l’impressionnant parcours de Clément Mercier, cet être engagé de manière aussi profonde et constante pour le changement social au Québec.

Entrevue réalisée par Evelyne Foy en décembre 2024